C’est à 7h du matin heure de Quito, 14h heure de Paris, que le ministre équatorien des Affaires étrangères a confirmé que l’Équateur a engagé les démarches visant à accorder l'asile demandé par Edward Snowden.
« L'Equateur a fait savoir qu'il était en train d'examiner la demande d'asile de M.Snowden afin que le gouvernement de Russie prenne la décision jugée conforme à ses lois et aux normes internationales », a déclaré le ministre équatorien des Affaires étrangères, Ricardo Patiño, lors d'une conférence de presse en direct d’un hôtel de Hanoi, au Vietnam, où il est actuellement en voyage officiel.
C’est déjà lui qui, dimanche, avait confirmé sur son compte Twitter la réception par les autorités de Quito d’une demande d’asile politique de la part du technicien informatique activement recherché par Washington.
Pression des Etats-Unis sur l'Équateur
Le gouvernement américain a d’ailleurs instamment demandé à l’Équateur de ne pas accorder d’asile à Snowden et de l’expulser si jamais il se présentait à la frontière équatorienne. Cette demande a également été adressée à Cuba et au Venezuela, autres pays un temps cités comme destinations possibles du lanceur d’alerte qui a révélé un gigantesque programme d’espionnage mené à bien par les États-Unis et l’Angleterre.
Ce dimanche, une voiture diplomatique de l’ambassade d’Équateur est restée garée pendant plusieurs heures devant l’entrée de salle des délégations officielles de l'aéroport de Moscou, où Snowden serait actuellement en transit. L’ambassadeur de ce pays qui, selon plusieurs sources, aurait rencontré le jeune homme, n'a été vu par personne. Sa voiture est repartie en soirée, avec uniquement le chauffeur à son bord.
L’Équateur a déjà accordé l’asile au fondateur de Wikileaks Julian Assange, reclus depuis un an à l’ambassade équatorienne à Londres. Recevoir Snowden serait un nouveau pied de nez à l’Empire, ce qui risque de ne pas déplaire au gouvernement socialiste du président Rafael Correa.
Discrétion des autorités russes
Edward Snowden reste pour l'instant invisible. Depuis l’arrivée du vol d’Aéroflot en provenance de Hong Kong, ce dimanche à 17h05 heure locale, personne n’a pu voir ne serait-ce que son ombre, nous rapporte notre correspondante à Moscou, Anastasia Becchio. Il n’a en tout cas pas passé le contrôle des passeports en compagnie des autres passagers qui, dans leur grande majorité, ont affirmé ne pas avoir vu l’ancien consultant en informatique de la CIA à bord de l’appareil.
Snowden aurait pu donc rester dans la zone de transit en attendant un autre vol, mais les quelques journalistes munis de billets qui ont réussi à entrer dans cette zone n’ont pas réussi à mettre la main sur lui.
Les autorités russes restent en tout cas pour le moment très discrètes. La police de l’aéroport a confié au quotidien Kommersant qu’elle n’avait pas reçu l’ordre de l’arrêter. Et de préciser que pour entrer sur le territoire russe, il lui faudrait un visa, qu’il semble ne pas avoir. Selon les experts interrogés par Izvestia, un autre grand journal du pays, l’escale moscovite de Snowden a reçu l’aval des autorités et des services spéciaux russes. Une personnalité de la trempe de Snowden, poursuit le quotidien, ne restera pas, quoi qu’il en soit, sans éveiller l’intérêt des services secrets russes, qui vont essayer de le rencontrer.
Cet épisode ne risque en tout cas pas d’améliorer les relations déjà tendues entre Moscou et Washington. Le chef de la commission aux Affaires étrangères de la Douma, Alexeï Pouchkov, a prévenu : les autorités américaines auraient dû réfléchir aux conséquences de leurs actes lorsqu’elles ont espionné le téléphone de Dmitri Medvedev en 2009 lors du sommet du G20.
Un nouveau dossier épineux pour Barack Obama
Pour les autorités américaines, et pour Barack Obama en particulier, le départ d’Edward Snowden de Hong Kong, son escale à Moscou, sa demande d’asile à l’Équateur, cause un gros problème diplomatique. Un problème dont le président aurait sans doute préféré se passer alors qu’il est affaibli tant au niveau intérieur avec les multiples controverses – Benghazi, fisc et surveillance – qu’au niveau international où sa cote a quelque peu baissé. Cela s’est remarqué lors du sommet du G8, où il n’a pas réussi à convaincre le président russe Vladimir Poutine de cesser de soutenir le régime Assad.
Barack Obama doit désormais faire face à un double casse-tête : un casse-tête chinois, mais aussi international. Hong Kong a ignoré la demande d’extradition des États-Unis et même si Pékin a prétendu ne pas vouloir se mêler de cette affaire, il est difficile de croire qu’elle n’a pas eu son mot à dire dans la décision de Hong Kong de laisser partir Snowden.
La sénatrice Diane Feinstein, qui préside la commission du renseignement, s’est étonnée sur CBS que la Chine n’ait pas saisi l’occasion de la requête des Américains pour améliorer ses relations avec les États-Unis, alors que, lors de la visite du président Xi Jinping aux États-Unis au début du mois, les deux pays s’étaient engagés à créer un meilleur climat entre eux.
Le rôle de Moscou a aussi été dénoncé avec force par plusieurs parlementaires dans les émissions politiques du dimanche, nous dit notre correspondant à Washington, Jean-Louis Pourtet. La critique la plus virulente contre l’attitude de Vladimir Poutine est venue d’un démocrate, le sénateur de New York, Chuck Schumer. Il a souligné le plaisir du président russe à faire un nouveau pied de nez aux Américains. Pour le moment, la Maison Blanche est restée très discrète, même si en coulisse, elle a multiplié les contacts pour essayer de stopper la fuite de Snowden et obtenir son retour aux États-Unis.
La popularité de Snowden en baisse
De l’avis de tous les commentateurs, ce nouvel épisode va compliquer encore un peu plus les relations de Washington avec la Chine et la Russie. Et aussi avec l’Amérique latine, et notamment l’Équateur, si c’est la destination finale de l’ancien analyste de la CIA.
Aujourd’hui, Edward Snowden n’a en tout cas plus vraiment la cote auprès des Américains. Alors qu’il avait joui au départ d’un sentiment favorable de la part de 54% d’entre eux, selon un sondage de Time, le vent est en train de tourner. Si les Américains avaient vu en lui au début un jeune idéaliste désireux de mettre en lumière une surveillance excessive des services de renseignement, leur opinion est en train de changer. Ils lui reprochent d’être allé chercher refuge dans des pays hostiles aux États-Unis. Et le fait qu’il ait demandé asile à l’Équateur, un pays connu pour sa répression des journalistes, a sérieusement entamé sa crédibilité de défenseur de la liberté d’expression.
Ce lundi matin, Washington a demandé à la Russie de renvoyer l’ex-analyste de la CIA aux États-Unis afin qu’il y réponde des charges pesant contre lui.