RFI : Ces dernières heures, nous assistons à de véritables scènes d’émeutes : jets de pierres et tirs de cocktails Molotov d’un côté, ripostes à coups de gaz lacrymogènes et de balles en caoutchouc de l’autre. Quelles sont les raisons de cette flambée de violences ?
Jean-Jacques Kourliandsky : C'est monté progressivement. La semaine dernière, les manifestations sont relativement passées inaperçues à l’extérieur du pays, mais elles ont commencé à ce moment-là dans les grandes villes, en particulier à Sao Paulo, la plus grande des agglomérations brésiliennes, qui compte plus de 11 millions d’habitants, 17 millions même, et où le problème des transports est fondamental pour une grande partie de la population. Les manifestations ont démarré sur ce problème-là : une augmentation du prix des transports provoquée par une inflation généralisée, touchant l’économie brésilienne qui, par ailleurs, est dans une phase de récession.
Quand les manifestants dénoncent les dépenses somptuaires allouées au Mondial de football, ont-ils raison ?
Somptuaires, je ne sais pas. Si la situation économique était bonne, ce problème n’existerait évidemment pas. Mais il ne faut pas oublier que le Brésil est le pays d’Amérique latine où les inégalités sont les plus marquées. Dans un moment aussi particulier, où la majorité de la population subit une chute de la croissance et une augmentation des prix, le fait que beaucoup d’argent soit dépensé dans la construction et l’aménagement de stades de football est apparu comme totalement déplacé pour la partie de la population qui est tributaire des transports en commun. D’où le ciblage des revendications sur des investissements qui auraient été mal orientés.
Comme ces gros investissements portent sur la construction de stades, effectivement, des pancartes sont apparues pour signaler ce qui est considéré comme un scandale pour les manifestants, compte tenu de la situation actuelle.
Lorsque les autorités assurent que ces investissements vont contribuer au développement des régions, mais aussi aider à lutter contre le chômage, la population brésilienne n’y croit pas ?
Ce sont des investissements lourds, engagés depuis longtemps, à une époque où le Brésil avait une croissance de 5%, 6% et même 7%. Parmi eux, il y a des investissements de longue durée, qui concernent les infrastructures. Mais il y a aussi les stades. Tout le monde sait qu’un stade de 60 000 à 100 000 places n’a pas une utilisation quotidienne. A Sao Paulo, par exemple, on calcule qu’environ 4,5 millions de personnes sont tributaires des transports en commun quotidiennement. Pour ces personnes, la question se pose : cet argent ne serait-il pas plus utile dans l’amélioration du système de transports en commun ? Pour rester sur Sao Paulo, puisque c’est de là que sont parties les manifestations, c’est une ville « centre » de 11 millions d’habitants qui n’a que cinq lignes de métro. Un certain nombre d’économistes ont calculé que 7,5% du PIB de l’Etat de Sao Paulo est perdu dans les embouteillages.
Ce qui inquiète le plus aujourd’hui, c’est de voir le Brésil s’enfoncer dans la crise : à peine un point de croissance en 2012. Nous sommes loin des 7,5% de l’ex-président Lula en 2010. Comment se fait-il qu’aujourd’hui, l’économie soit à ce point grippée ?
Le Brésil est très dépendant de son premier partenaire commercial, qui est la Chine depuis plusieurs années. On sait que la Chine est dans une période de relative récession. Donc, elle achète moins à l’extérieur, et donc moins au Brésil. Par ailleurs, on ne peut pas dire que les autres partenaires potentiels du Brésil soient dans une situation florissante. Je veux parler de l’Europe, mais aussi des Etats-Unis. On a donc une accumulation d’incertitudes, qui explique que le Brésil soit entré dans une phase de récession accompagnée d’inflation. C’est un effet indirect de la crise internationale. Par ailleurs, la Chine pose d’autres problèmes à l’économie brésilienne. Elle achète des produits bruts et revend des produits à forte valeur ajoutée, qui concurrencent les industriels brésiliens, à la fois sur leurs marchés extérieurs et intérieurs. Il y a toute une série de problèmes et de contradictions qui expliquent les raisons de la récession brésilienne. Précisons qu'on parle de récession compte tenu des plus de 7% de croissance d’il y a deux ans.
Ces manifestations peuvent-elles mettre en danger la présidente Dilma Rousseff ?
Un élément a été mis en valeur par un certain nombre d’enquêtes publiées par la presse brésilienne : lorsque l’on pose la question aux manifestants, on peut faire le constat qu’ils n’ont pas d’engagement politique. C’est un point commun qui existait dans d’autres manifestations de ce type, notamment en Espagne ou en Turquie, ou ailleurs. Ces manifestations ont un caractère largement spontané. Elles se sont répandues au travers de la diffusion d’images et d’informations par les médias ou par les réseaux sociaux, par internet et autres... A proprement parler, il n’y a pas de revendications politiques, même si les opposants à Dilma Rousseff vont probablement essayer d’instrumentaliser cette situation pour provoquer une alternance électorale l’année prochaine à la présidentielle brésilienne, puisque le Brésil est en année pré-électorale.