Cas Assange: l'Equateur accusé de faire dans le deux poids deux mesures

Semaine décisive pour le réfugié politique Alexandre Barankov en Equateur. Menacé d’être extradé en Biélorussie, seul pays européen où la peine de mort est légale, il demande le même traitement que celui réservé à Julian Assange, fondateur du site WikiLeaks, à qui l’Equateur vient de concéder l’asile diplomatique.

C’est ce que l’on appelle en Equateur une « papa caliente », une pomme de terre chaude. Le genre de dossier qui vous brûle les doigts. Refusant de livrer Julian Assange - toujours réfugié dans l’ambassade équatorienne à Londres – à la police anglaise, pour éviter sa possible extradition vers les Etats-Unis, le régime équatorien peut-il traiter différemment Alexandre Barankov, ex-policier biélorusse réclamé par la justice de son pays ?

Selon Minsk, Alexandre Barankov ne peut prétendre au statut de réfugié politique. Il ne serait qu’un délinquant commun coupable de tentative d’extorsion auprès d’hommes d’affaires.

Une accusation rejetée par son avocat, Fernando Lara : « Mon client n’était qu’un enquêteur, nommé capitaine à 24 ans pour ses mérites et rattaché à l’unité de lutte contre les crimes économiques. Il a découvert des irrégularités impliquant des membres du gouvernement proches du président Loukachenko et il en paie les conséquences. Pour être précis, il a découvert un réseau touchant des pots-de-vin pour permettre l’usage de l’oléoduc qui traverse le pays. Il parlait de 500 000 euros quotidiens ».

Rapport accablant pour le régime biélorusse

Selon son avocat, Barankov remet un rapport à la justice de Minsk et puis plus rien... « Il n’a plus eu aucune nouvelle ou demande de renseignements complémentaires. Un jour, l’un de ses collègues [NDLR : Andrei Lutovich, arrêté peu après selon Barankov] l’a averti qu’un procès se préparait contre lui et qu’il devait quitter le pays », précise son avocat. Direction la Russie puis l’Egypte. Découvrant que ce pays a signé un traité d’extradition avec la Biélorussie, Barankov débarque en Equateur, l’un des rares pays avec Cuba et le Venezuela auxquels il peut accéder sans visa.

Quelques mois après son arrivée en octobre 2009, il rencontre Mabel Andrade. « Il achetait du pain dans un magasin et il m’a demandé de l’aider à traduire », confie cette jeune équatorienne. Quelques mois plus tard, début de la relation. Le couple fonde une compagnie de transport. Barankov cache son nom, son passé, son histoire et jusqu’au blog « Belorussia Libre » qu’il ouvre en espagnol pour, dit-il, « sensibiliser le continent latino-américain » à la situation des droits de l’homme dans son pays. « Au début, il ne m’a rien dit, reconnaît Andrade, j’ai commencé à réaliser sa situation lorsqu’il a été arrêté par l’Interpol ».

Barankov passe alors près de deux mois en prison pour dépassement de visa. Il est interrogé par le service spécialisé du ministère équatorien des Affaires étrangères qui recommande de lui accorder l’asile, avec un rapport particulièrement accablant pour le régime biélorusse.

Retour en prison

Ce rapport rappelle que les juges en Biélorussie « sont directement nommés » par le président Loukachenko, que les élections législatives de 2004 et la présidentielle de 2006 y ont été déclarées « non libres » et « injustes » par de nombreux organismes comme l’OSCE (Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe) et le Conseil de l’Europe.

Barankov obtient le statut de réfugié politique en octobre 2010. Aujourd’hui pourtant, Barankov est de retour en prison suite à une nouvelle demande d’extradition de la justice biélorusse qui l’accuse cette fois de trahison et divulgations de secrets d’Etats, passibles de la peine de mort.

Il a été arrêté le 7 juin et se trouve actuellement dans une cellule de la clinique de la prison de Quito. A la demande de l’Interpol biélorusse, il fait l’objet d’une nouvelle enquête. Le président de la Cour nationale de justice le maintient en détention préventive, officiellement pour éviter qu’il ne quitte le pays.

Que s’est-il donc passé ? Pour sa compagne et son avocat, « il n’y a aucune coïncidence », les problèmes actuels de Barankov sont directement liés au voyage officiel en juin à Quito du président biélorusse Alexandre Loukachenko, interdit de visite en Europe occidentale. « La délégation biélorusse qui a préparé la visite a exigé l’extradition de mon client », affirme Me Lara qui voit dans cet acharnement contre Barankov « la preuve de ses accusations contre le régime biélorusse ».

La pression de l’opinion publique et des médias

Avocat et professeur de droit à l’Université San Francisco de Quito, Alejandro Ponce ne comprend pas non plus l’obstination de la justice équatorienne contre Barankov. « Une fois qu’une personne a obtenu le statut de réfugié, elle ne peut être renvoyée dans son pays d’origine », précise-t-il. « Même si son statut est révoqué, l’obligation de ne pas la renvoyer demeure dans le droit international ».

Le régime biélorusse a promis de ne pas appliquer la peine de mort à Barankov mais Me Lara n’y croit pas. « Rien n’empêchera une justice totalement dépendante du pouvoir biélorusse d’inventer de nouvelles charges contre mon client », craint-il.

Ne voyant « aucune différence de fond » entre le cas Julian Assange et celui de son client, Me Lara et l’ex-policier biélorusse sont aujourd’hui « plus optimistes » grâce à la pression de l’opinion publique et des médias. Pour qu’Alexandre Barankov puisse être extradé, il faudrait d’abord qu’il perde son statut de réfugié politique.

« Refusant de recevoir des leçons de morale » du monde occidental, le président Rafael Correa a indiqué à la presse étrangère qu’il se prononcerait à ce sujet « une fois connue la décision du président de la Cour nationale de justice », une décision attendue dans les prochains jours.

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