De notre correspondant à Buenos Aires,
Il n’aura fallu que 72 heures à l’Amérique du Sud pour apporter son soutien à l’Équateur dans son différend avec la Grande-Bretagne au sujet de Julian Assange, à qui le président Rafael Correa a accordé l’asile diplomatique le 16 août. Trois jours après, les ministres des Affaires étrangères de l’Unasur se réunissaient à Guayaquil, en terre équatorienne, pour traiter l’affaire en urgence. Dans un communiqué publié à l’issue de la réunion, les pays de la région ont exprimé leur solidarité avec l’Équateur et appelé les autorités britanniques à ne pas attaquer l’ambassade de ce pays à Londres, où le fondateur de WikiLeaks s’est réfugié il y a deux mois.
Cette prise de position, inattendue pour beaucoup, montre que ce n’est pas, ou pas seulement, l'« anti-américanisme » supposé de Correa qui explique l’attitude de l’Équateur dans cette affaire. Au sein de l’Unasur, qui rassemble la totalité des Sud-Américains, on trouve certes des États que les Américains considèrent « hostiles », comme la Bolivie ou le Venezuela, mais aussi des alliés de Washington, comme le Chili ou la Colombie, dirigés par des gouvernements de droite. Quant à l’Argentine et l’Uruguay, s’ils sont de centre gauche, ils comptent parmi les « amis » des Etats-Unis, de même que le Brésil, par ailleurs tenu, de par son rang de puissance mondiale, à un certain équilibre en politique étrangère.
Pour l'Unasur, l'Equateur agit selon le droit
Par-delà leurs divergences idéologiques, les pays sud-américains sont d’accord pour considérer que l’Équateur a agi conformément au droit. Et ils craignent que le Royaume-Uni ne fasse pas de même. N’aurait-il pas dû, s’il avait voulu respecter les conventions internationales en la matière, fournir un sauf-conduit à Assange et ne pas faire obstacle à sa sortie du territoire ? Contrairement au gouvernement équatorien, les autorités britanniques sont soupçonnées d’agir pour des raisons politiques, en l’occurrence, permettre une éventuelle extradition aux États-Unis du fondateur de WikiLeaks après comparution de ce dernier en Suède. Or c’est précisément parce que les conditions dans lesquelles il pourrait être présenté devant les tribunaux américains n’ont pas été précisées que Correa a accordé l’asile à Assange. On rappelle encore ici que la Grande-Bretagne avait refusé l’extradition de l’ancien dictateur chilien Augusto Pinochet avant de lui accorder l’asile, alors qu’il était poursuivi pour crimes contre l’humanité, en violation du droit international et pour des raisons éminemment politiques.
Cet attachement au droit international est une des pierres angulaires d’une politique extérieure sud-américaine qui s’ébauche sous l’égide de l’Unasur. C’est ce qui unit les pays de la région, indépendamment, encore une fois, de leurs divergences politiques, quand ils réclament la fin de l’embargo américain contre Cuba. Mais aussi lorsqu'ils appuient l’Argentine dans sa demande de négociations au sujet des Malouines, conformément à plusieurs résolutions des Nations unies que le Royaume-Uni a décidé d’ignorer. Et c’est toujours au nom du droit international que la plupart des pays sud-américains ont reconnu la Palestine en tant qu’État, en dépit des pressions américaines et israéliennes pour les en dissuader.
Un soutien précieux pour l'Equateur
En matière diplomatique, l’Amérique du Sud fait également preuve d’une plus grande indépendance que par le passé, comme on le voit aussi vis-à-vis de l’Iran, avec lequel nombre de pays de la région entretiennent des relations qui irritent Washington. À commencer par le Brésil, même si la présidente Dilma Roussef est nettement moins amicale à l’égard de Téhéran que ne l’était son prédécesseur Lula da Silva. Par ailleurs, l’Argentine garde ses distances, en raison de l’implication présumée de personnalités iraniennes dans l’attentat contre la mutuelle juive AMIA, qui fit 85 morts en 1994.
Ce nouveau rôle de l’Amérique du Sud dans les relations internationales, reflet d’une réalité régionale marquée par l’affermissement de la démocratie, la bonne santé économique et le renforcement de l’intégration, sera d’un secours précieux pour l’Équateur dans son différend avec la Grande-Bretagne : une éventuelle violation de l’immunité de l’ambassade équatorienne à Londres serait considérée comme une agression par l’ensemble des pays de la région.