Quelques heures après la tuerie du 20 juillet, les médias américains nous avaient déjà presque tout appris sur James Eagan Holmes. On sait que ce jeune homme est né le 13 décembre 1987 à San Diego, en Californie, et mesure 1,90 mètre. On sait que sa mère est une infirmière et son père un ingénieur travaillant pour une entreprise développant des logiciels. On sait qu’il jouait au football lorsqu’il était au lycée à la Westview High School, avant de décrocher brillamment un bachelor de neuroscience à l’université de Riverside en 2010, puis de commencer un doctorat dans la même discipline, qu’il s’apprêtait à abandonner. On sait enfin qu’il s’est acheté, le 19 juillet 2012, un billet pour l’avant-première du film Batman : The Dark Knight Rises, programmée le lendemain au complexe Century 16 d’Aurora, dans la banlieue de Denver, où il poursuivait ses études.
De bien précieuses et précises informations mais qui ne permettent que difficilement de comprendre pourquoi Holmes, après quelques minutes de film, serait entré par la sortie de secours de la salle numéro 9 pour lancer deux grenades lacrymogènes avant de tirer aveuglément sur la foule à l’aide d’une carabine Smith & Wesson, d’un revolver Glock et d’un fusil à pompe Remington, vêtu d’un masque à gaz et de tout un attirail pare-balles. Tuant douze personnes et en blessant 58, l’auteur de cette tuerie, dont James Holmes est aujourd’hui le seul suspect, détient maintenant le triste record de la fusillade ayant touché le plus de victimes sur le sol américain.
Un garçon timide
Arrêté quelques minutes après les faits alors qu’il s’apprêtait à monter dans sa voiture, stationnée près des lieux du drame, son nom a rapidement été rendu public et les témoignages de personnes ayant plus ou moins bien connu Holmes ont suivi de près ceux des victimes. « Nous étions des honors students (des étudiants qui réussissent particulièrement bien dans leurs études, ndlr), explique par exemple Jessica Cade, qui l’a connu à Riverside, au San Diego Union Tribune. Cela permet toujours d’être plus ou moins considéré comme bizarre, n’est-ce pas ? Mais je n’aurais jamais pensé qu’il ferait quelque chose comme ça, je ne l’aurais jamais considéré comme quelqu’un de fou ou de dérangé comme le décrivent les informations. » La plupart des autres récits sont sur le même ton, insistant parfois sur la timidité du garçon, mais loin de dessiner le portrait psychologique d’un tueur en puissance.
Comme souvent après un tel événement aux Etats-Unis, ce sont alors deux explications sociétales qui s’opposent : la violence des produits culturels consommés par la jeunesse du pays (jeux vidéos, cinéma, comics, etc.) d’un côté ; la facilité avec laquelle le citoyen américain peut se procurer une arme à feu de l’autre. Cette dernière opinion est celle qui a pris le plus de place ces derniers temps au regard du déroulement des événements. Ne disposant d’aucun casier judiciaire, James Holmes a pu, en moins de deux mois, s’acheter légalement deux revolvers, un fusil semi-automatique, un fusil à pompe et plus de 6 000 balles ou cartouches.
Il se présente comme le « Joker »
« Plutôt que de refuser de dire ' James Holmes ', Obama rendrait certainement un meilleur service aux familles des victimes, et au reste d’entre nous, s’il se saisissait de cette terrible histoire et l’utilisait pour éduquer les Américains sur les conséquences de ces textes qui autorisent un diplômé de 24 ans à commander en ligne 3 000 balles pour son fusil d’assaut Bushmaster AR 15 […]. Un tel exercice de la part d’Obama irait bien avec le mot ' présidentiel ' », écrit l’éditorialiste John Cassidy dans The New Yorker. Dans son discours à Aurora, le président américain a en effet accédé à une demande des familles en ne prononçant pas le nom de Holmes, mais s’est refusé à évoquer une quelconque modification de la loi sur les armes, à moins de trois mois des élections. Preuve par l’absurde que ce thème de campagne est sensible, la tuerie a provoqué une nette… augmentation des achats d’armes à feu au Colorado.
Sans doute parce que beaucoup d’Américains sont persuadés que la liberté de porter une arme n’est pas la cause de la tuerie. Lorsqu’il a été interpellé par la police, James Holmes, les cheveux teints en rouge, s’est présenté comme le Joker (l’un des grands ennemis de Batman), puis a demandé comment le film se terminait. Il a également averti la police que sa chambre d’étudiant était piégée, et les forces de l’ordre ont effectivement découvert en arrivant sur place un dispositif ingénieux qui déclenchait une musique à un volume très élevé dans son appartement et surtout qui faisait tout exploser si qui que ce soit essayait d’ouvrir la porte. Un scénario qui a poussé de nombreux sites web à évoquer l’influence du cinéma sur les agissements de Holmes. Ce dernier aurait d’ailleurs déclaré à la police avoir consommé du Vicodin avant son attaque, un antidouleur, rappelant l’overdose mortelle d’Heath Ledger, interprète du Joker dans un précédent épisode de la série Batman. Pour compléter le tableau, le meurtrier présumé avait envoyé un colis à sa psychiatre contenant apparemment des indices sur ses intentions, mais qui était resté bloqué à la poste.
Une procureur qui n’hésitera pas à demander la peine de mort
Car James Holmes était effectivement suivi par la psychiatre de son université, le Dr Lynne Fenton, spécialisée entre autres dans la neurobiologie de la schizophrénie. Si les témoignages de ses connaissances le décrivaient forcément comme quelqu’un d’insoupçonnable, cela ne préjuge donc de rien. Interviewé par Le Dauphiné Libéré, Stéphane Bourgoin, auteur de nombreux ouvrages sur les tueurs en série, considérait que les tueries de masse étaient souvent commises par « des hommes jeunes ou des ados » qui « sont introvertis et n’ont pas ou peu d’amis et de relations amoureuses », ce qui était apparemment le cas de Holmes. « Je les qualifierais de ' suicidaires extravertis ', même si tous ne se suicident pas, poursuit Bourgoin. Ils ont envie de laisser une marque dans l’histoire, et la seule manière qu’ils ont trouvée est de faire un carnage. Il y a un désir de toute puissance qui passe par une fascination pour les armes à feu. Ils veulent endosser une personnalité hyperpuissante qu’ils n’ont pas dans la réalité. »
Le qualificatif de « suicidaire » pourrait finalement convenir indirectement à James Holmes. Alors que 24 charges pour meurtre et 116 autres pour tentative de meurtre ainsi qu’une poursuite pour détention d’un engin explosif et des circonstances aggravées ont été retenues contre lui lors de l’audience de ce lundi 30 juillet 2012, le suspect a de très fortes chances d’être condamné à mort. Certes, le Colorado n’a exécuté qu’un homme depuis 1976 (Gary Lee Davis en 1997) mais dans cet Etat, le fait d’avoir tué plus d’une personne dont une de moins de douze ans sont deux raisons valables de voir la peine de mort requise. D’autant plus que Holmes n’est pas tombé sur n’importe quel procureur. Sur les trois condamnés occupant actuellement le couloir de la mort du Colorado, deux y ont été envoyés par Carol Chambers, qui est également en charge de six des sept procès en cours impliquant la peine capitale dans l’Etat. James Holmes voulait connaître la fin du film, il peut maintenant la deviner.