RFI : Quels sont vos projets dans les prochains jours ? Le pays attend beaucoup.
Laurent Lamothe : Nous avons déjà un plan d’action que nous allons exécuter avec une vaste opération de nettoyage de la ville de Port-au-Prince et aussi une vaste opération d’entretien de nos routes qui ont eu beaucoup de problèmes avec les pluies. Nous allons commencer le processus de reconstruction d’Haïti avec les fonds disponibles. Il y a beaucoup d’autres projets que nous allons faire parmi lesquels la publication de l’amendement et déjà parler des élections que nous voulons tenir avant la fin de l’année.
RFI : Ce qui inquiétait aussi les partenaires internationaux d’Haïti, c’était l’instabilité politique. En un an, le président Michel Martelly n’a eu un gouvernement fonctionnel que durant quatre mois. Comment pouvez-vous les rassurer ?
L.L. : Je peux commencer à les rassurer à partir d’aujourd’hui car il y a un gouvernement. Le président m’a choisi comme son Premier ministre et nous avons une relation depuis plus de onze ans. On se connaît bien. On a appris à travailler ensemble. On travaille bien ensemble, donc je pense qu’on fera une bonne équipe. Et surtout, je pense que la dynamique maintenant avec le Parlement est au travail, à la reconstruction et à la refonte fondamentale d’Haïti. Donc la dynamique est là pour commencer le travail. Il a énormément de choses à faire, mais nous allons nous atteler à commencer dès demain matin sur le travail de la reconstruction.
RFI : Vous étiez ministre des Affaires étrangères, vous devenez Premier ministre. Il y a donc une refonte à faire du gouvernement. Comment cela va se passer ? Est-ce qu’il y a des négociations avec les parlementaires justement ?
L.L. : Le gouvernement Martelly-Lamothe sera un gouvernement d’ouverture. On est prêt à recevoir d’autres groupes dans le gouvernement, ceci pour avoir un gouvernement plus large, et ceci pour encourager aussi l’ouverture, le consensus dans la société haïtienne et surtout dans le secteur gouvernemental et politique. Donc nous voulons donner le pas. Nous voulons montrer une différence et nous voulons dire à tout le pays et à tout le reste du monde que ce gouvernement est sérieux, ce gouvernement veut travailler, veut engager la communauté internationale vers la voie du développement durable pour une Haïti meilleure.
RFI : Le leitmotiv du président Michel Martelly, c’est « Haïti est ouvert pour les affaires », (Haïti is open for business). Comment faire que ces investisseurs étrangers justement viennent investir dans le tourisme ou dans le secteur industriel haïtien, et pas dans les autres pays où il y a déjà moins de difficultés ?
L.L. : Haïti a quand même un code d’investissement qui est très intéressant. Nous avons zéro taxe pour les premières quinze années d’opérations. Ceci est extraordinaire pour un pays. Nous allons aussi changer plusieurs lois pour rendre Haïti beaucoup plus accessible aux affaires. Nous travaillons avec le ministère du Commerce pour réduire le temps que ça prend pour ouvrir une société, de six mois à moins de dix jours, en le faisant par Internet. Donc nous allons certainement révolutionner la manière de faire les affaires en Haïti. Nous allons avoir un gouvernement qui est au service de la population et un gouvernement qui est à l’écoute des besoins de la population.
RFI : Depuis ces vingt-cinq dernières années, les Haïtiens n’ont pas eu l’impression qu’ils avaient un Etat, un gouvernement qui était à leur écoute. Et ils ont l’impression d’être à l’abandon. Est-ce que cela va changer ? Comment pouvez-vous changer cette attitude qu’ont les Haïtiens de se dire qu’il n’y a qu’eux pour les sauver ?
L.L. : Le point central, l’objectif principal du gouvernement Martelly-Lamothe sera la lutte contre la pauvreté extrême. En Haïti, il y a plus de 70% de la population qui vit avec moins de un dollar par jour. Cette situation est inacceptable et intolérable pour nous. Nous allons faire tout ce que nous pouvons pour changer ce mode d’opération et cette réalité. Nous voulons la création d’emplois, la création de richesses et mettre le pays en chantier pour commencer cette reconstruction. Après le tremblement de terre, le séisme du 12 janvier 2010, il est temps de commencer à rebâtir. Et ceci est l’objectif principal aussi de notre gouvernement.
RFI : Faire venir des investisseurs, changer Haïti. Il y a une image et une mentalité à changer. Cela va prendre du temps. Il y a des grands défis, il y a encore plus de 400 000 personnes qui vivent dans des abris, dans des camps. Est-ce que les défis ne sont pas insurmontables ?
L.L. : Les défis sont énormes, mais pas insurmontables. Très certainement, la situation est compliquée et difficile mais je pense qu’avec la volonté, la conviction et aussi certainement avec la volonté de vouloir bien faire, avec une bonne équipe, la bonne gouvernance, on y arrivera très certainement parce que Haïti a besoin de changement. La population a voté Michel Martelly pour le changement. Et aujourd’hui, nous avons un gouvernement qui vient d’être approuvé par le Parlement, mais qui sera au service de la population qui sentira un changement de manière immédiate.
RFI : Dans un mois, va commencer la saison cyclonique. On s’inquiète énormément. Avec la dernière pluie qui était arrivée sur le pays, il y avait eu dix morts [en avril 2012]. Les constructions anarchiques ont continué malgré le séisme, après le séisme. Sur les montagnes autour de Port-au-Prince, on voit ces constructions. Comment faire que le drame du 12 janvier ou les drames des pluies ne se renouvellent plus dans les mois qui viennent ?
L.L. : L’important c’est de respecter l’environnement, l’important c’est de respecter les zones qui sont interdites aujourd’hui pour la construction. Nous allons appliquer ces lois. Nous allons empêcher des constructions anarchiques, les constructions illégales, ceci pour renforcer l’environnement. Donc il faut quand même commercer avec une campagne de reboisement massif. Haïti a plus de 500 millions d’arbres à planter. Nous coupons 30 à 40 millions d’arbres par an. Alors ce qu’il y a qu’1,5% de forêts qui restent sur toute l’étendue du territoire. Donc ceci explique qu’à chaque pluie, au lieu que cette pluie serve à irriguer nos champs, cette pluie est une pluie dévastatrice tous les soirs. On doit commencer à replanter. Nous devons commencer de manière immédiate. Et le secteur de l’environnement sera une priorité aussi de ce gouvernement.
RFI : Haïti est qualifiée très souvent de « République des ONG ». L’aide internationale humanitaire est indispensable, mais comment faire justement que cette aide s’atténue avec le temps et que l’Etat haïtien puisse être autonome et indépendant ?
L.L. : Haïti aujourd’hui doit avoir certainement une indépendance et une souveraineté financières. Nous dépendons à plus de 90% sur notre budget d’investissements sur l’international. Demain, Haïti doit renforcer ses structures douanières. Nous devons renforcer nos structures des impôts. Aujourd’hui, il n’y a que 3% des Haïtiens qui paient des impôts qui rapportent 425 millions de dollars par an. Si on triple ça, cela va déjà surpasser le milliard. Renforcer nos structures douanières, ceci pour recouvrir la perte de plus de 500 millions de dollars américains par an. Donc avec ces deux montants et avec une bonne gestion et une bonne gouvernance des fonds actuels, je pense que Haïti a un très beau futur. Nous devons travailler à ne pas être aussi dépendants, mais travailler pour voler de nos propres ailes. Et c’est cela l’intention du gouvernement Martelly-Lamothe.
Propos recueillis par Amélie Baron