Un an après : les 33 mineurs chiliens vont mal

Ce vendredi 5 août 2011, la petite ville de Copiapo, située à 800 km au nord de Santiago, commémore l’anniversaire de l’accident qui a enterré vivants les 33 mineurs chiliens. Il y a un an, la mine San José s’est affaissée sur elle-même, piégeant pendant 70 jours ces hommes. Ils avaient été secourus lors d’une opération délicate et fortement médiatisée. Un an plus tard, les mineurs ont bien du mal à retrouver une vie normale.

De notre correspondante à Santiago

« Dessous, on pensait que notre vie, à la sortie, serait différente. On imaginait avoir de meilleurs emplois et peut-être aussi avoir plus d’argent », se souvient dans un sourire ironique Osman Araya, 31 ans. Tandis qu’il arrange la disposition des fruits et des légumes à l’arrière de son camion pour les vendre sur une des petites places de Copiapo, il ajoute : « Beaucoup de gens dans la rue nous reconnaissent et ils disent ‘tiens, un des 33, il doit être plein aux as !’ » Tout ce qu’Osman a gagné, lui, c’est l’argent qu’a donné à chacun des 33 mineurs l’excentrique millionnaire chilien Leonardo Farkas. Avec ces 7 600 euros, il s’est acheté son camion.

Aujourd’hui, il gagne  moitié moins que ce qu’il gagnait dans la mine. « Personne ne veut nous embaucher, on est considéré trop fragiles dans le secteur minier ». S’il a fait beaucoup de voyages, aux Etats-Unis, en Grèce, à Chypre, au Royaume-Uni, ils ne font pas bouillir la marmite. Or, il a son épouse et ses quatre enfants à charge. Quant à l’argent du livre, qui sera écrit par le prix Pulitzer Hector Tobar, et du film écrit par le Portoricain José Rivera (Carnets de voyage), qui est arrivé hier au Chili en compagnie du producteur Mike Medavoy (Le Cygne noir, Shutter Island), il attend de voir pour le croire. Même si les contrats sont signés.

Son voisin, Dario Segovia, 48 ans, lui, aimerait bien voir la couleur de cet argent. S’il travaille aussi comme vendeur ambulant de fruits et légumes sur les placettes, il aspire à ouvrir une petite épicerie. « C’est mon rêve, explique Dario. Quand je travaillais à la mine, je travaillais sept jours sous terre et mes sept jours de repos, je les passais déjà à vendre des fruits et légumes ». L’argent de Farkas lui a tout juste permis de rembourser ses dettes. Mais ce qui inquiète sa femme, ce ne sont pas les finances du ménage, c’est leur relation. « Je ne sais plus quoi faire », lance-t-elle au bord des larmes. « L’homme que m’a rendu la mine n’est pas l’homme qui vivait avec nous ! Il n’est plus tendre comme il l’était. Maintenant, il est farouche, agressif ». Elle a demandé une assistance psychologique pour toute la famille, qu’elle a obtenue. « On va tous mal, justifie-t-elle. D’autant plus qu’aujourd’hui, c’est le jour anniversaire de l’accident, mais c’est aussi l’anniversaire de la petite dernière qui a sept ans. Elle est traumatisée ».

Des promesses non tenues

Traumatisé, Jimmy Sanchez, le plus jeune des « 33 » l’est aussi. Parler de la mine le fait bégayer. Ce timide garçon qui ne sort jamais sans ses lunettes Oakley, celles qu’il portait à sa sortie de la mine, comme ses compagnons, tourne en rond toute la journée. « Je suis nerveux, précise-t-il. Je veux travailler mais je ne m’en sens pas capable, je suis toujours grognon, je fais des crises d’angoisse. Des fois je me sens terriblement seul ». La nuit, il fait souvent le même cauchemar : « Je suis seul dans l’obscurité et j’entends ces voix étranges qui me parlent et je panique ». Malgré son état, l’assurance a décidé de mettre un terme à son arrêt maladie en décembre dernier. « Si vous pouvez voyager, c’est que tout va bien », lui a-t-on expliqué. La plupart des mineurs ne sont plus en arrêt maladie, la plupart vont pourtant mal.

Seuls cinq mineurs ont repris leur travail dans la mine. « Mais dans une aux normes de sécurité irréprochables », précise, pour sa part, Victor Segovia, « l’écrivain » de la mine, qui a réussi à surmonter sa peur. Alors que le président Sebastian Piñera sera présent à la messe et à l’inauguration d’une exposition sur les 33 dans le Musée régional de Copiapo, beaucoup le recevront avec froideur. Il avait promis plus de contrôle dans les mines, il avait aussi promis une augmentation des amendes pour sanctionner les infractions aux normes de sécurité. Il a seulement augmenté le nombre d’inspecteurs des mines. Dans la région, ils sont passés de trois à onze. Dans cette partie du désert d’Atacama, il existe plus de 2 000 exploitations minières.

Pour le président, cet anniversaire sera aussi teinté de nostalgie. Il y a encore un an, il avait derrière lui un pays uni et une cote de popularité de 80%. Aujourd’hui, le Chili semble uni contre lui, sa cote ne dépasse pas 26%. Au moment où le président aurait bien besoin de la magie des 33 et de l’émotion que leur sauvetage a suscité dans le pays, les Chiliens auront à l’esprit les bombes lacrymogènes et les lances à eau qui ont violemment réprimé jeudi, dans tout le pays, les manifestations de dizaines de milliers d’étudiants et d’élèves du secondaire qui réclament, depuis deux mois, une éducation publique, gratuite, de qualité.

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