Second tour de la présidentielle au Pérou: les deux candidats et leur héritage familial

Le duel sera sans doute très serré entre les deux candidats à l'élection présidentielle même si les derniers sondages donnent une légère avance à Keiko Fujimori. Elle affronte dimanche 5 juin 2011 Ollanta Humala. Par leurs pères, les deux candidats sont les héritiers d'engagements politiques forts, différents, et parfois encombrants.

« Il s’agit de l’un des scrutins les plus importants de l’histoire du Pérou parce qu’il va déterminer l’évolution du pays. Ce scrutin va être extrêmement serré ». Le pronostic est de Bill Richardson, ancien gouverneur du Nouveau Mexique mais surtout observateur pour le compte de l’OEA, l’Organisation des Etats américains. 

Ce ne sont pas seulement deux candidats qui s’affrontent mais aussi deux conceptions politiques opposées ainsi que deux héritages radicalement différents.

L’héritage de Keiko Fujimori est évident : elle est la fille de son père, l’ancien président Alberto Fujimori. Un héritage d’autant plus prégnant qu’au divorce de ses parents en 1994 Keiko s’est imposée en Première dame, accompagnant son président de père dans tous les déplacements officiels. C’est à la fois son principal atout et son principal handicap. Son rival Ollanta Humala use et abuse de la critique mais, lui aussi, porte l’héritage paternel.

Héritage marxiste-léniniste
 
Ollanta Humala est le fils d’un avocat célèbre, radicalement de gauche, qui a fondé un mouvement marxiste-léniniste. Ses détracteurs le soupçonnent de ne pas avoir renoncé à l’idéologie marxiste de son père car il a longtemps affiché son admiration pour Hugo Chavez. Le soutien du président vénézuélien lui a même coûté la victoire lors de la précédente élection présidentielle en 2006 au profit du centriste Alan Garcia.

Ollanta Humala a beau avoir pris ses distances avec cette ligne radicalement à gauche, avoir renié ses liens avec Hugo Chavez, avoir choisi pour modèle Luis Ignacio da Silva, les marchés craignent qu’en arrivant au pouvoir, il nationalise à tour de bras et révise la Constitution pour s’octroyer plusieurs mandats comme l’a fait le président du Venezuela. Dès que le moindre sondage replace Ollanta Humala en tête de la course à la présidence, la Bourse de Lima s’affole.

Héritage encombrant

Les milieux d’affaires font confiance à Keiko Fujimori. Précisément parce qu’elle est la fille d’Alberto Fujimori : le président qui a jugulé l’inflation de 4 000% qui sévissait dans les années 1990 et mis un terme à la guérilla du Sentier lumineux. Elle aussi tente de se distancier de cet encombrant héritage.

Alberto Fujimori a été président du Pérou pendant dix ans, de juillet 1990 jusqu’à sa destitution par le Congrès en novembre 2000. « Une période de dictature », disent ses détracteurs. De fait, après cinq ans de fuite au Japon, Alberto Fujimori a été arrêté au Chili puis extradé vers le Pérou. En 2009, il a été condamné à 25 ans de prison pour violation des droits de l’homme, détournements de fonds notamment au profit du chef des services secrets. Il a aussi été reconnu coupable d’avoir mis sur écoutes des hommes d’affaires, des journalistes, des opposants comme Mario Vargas Llosa qui est aujourd’hui le principal détracteur de l’héritière Fujimori. L’écrivain de nationalité péruvienne a même décidé de mettre fin à sa collaboration avec le journal El Comercio coupable, selon lui, de propagande en faveur de Keiko Fujimori.

Il était donc urgent pour l’héritière de se distinguer de l’ancien président : « Mon père avait le message clair et fort nécessaire pour combattre le terrorisme et redresser l’économie. A présent le message requis est toujours le même mais plus conciliant », dit-elle. Elle s’inscrit pourtant dans le même libéralisme économique et le même clientélisme social que son père. Elle promet des réformes fujimoristes de « deuxième génération » avec une aide aux petites et moyennes entreprises, des programmes sociaux énergiques et la remise en route de chantiers datant des années 1990.

Second tour serré

Avec ces programmes, les deux candidats ont des électorats bien différents : Keiko Fujimori séduit dans les milieux urbains, y compris dans les quartiers défavorisés qui ont gardé le souvenir de l’assainissement de l’économie réalisé par son père et qui leur a été bénéfique. Elle est aussi très populaire parmi les femmes, car si elle était élue, elle serait la première femme à accéder à la tête du Pérou.

Ollanta Humala, élevé par son père dans le culte de l’ultranationalisme andin et de la suprématie de la « race cuivrée », est plus populaire dans les milieux ruraux. Mais ses détracteurs n’oublient pas sa tentative de renversement d’Alberto Fujimori en 2000 et ils craignent la tentation du coup de force de la part de l’ancien militaire.

C’est aussi ce que craignent les opposants de Keiko Fujimori qui voient en elle une main de fer dans un gant de velours. Les deux camps sont irréconciliables et la différence se jouera du côté des indécis qui étaient encore 10% dans les derniers sondages. 

Partager :