« Seul un président légitimement élu peut remplacer le président en fin de mandat », avait déclaré René Préval le 1er janvier 2011, à l’occasion de la fête nationale haïtienne. C’est pour accompagner le processus électoral en cours que le président sortant dit devoir rester en poste. Pour déroger à la Constitution, le président sortant a fait voter au printemps dernier une loi qui lui permet de rester en poste jusqu’au 14 mai prochain, la date qui marque les cinq ans de sa prise de fonction officielle. Ces dernières semaines, René Préval n’a cessé de répéter qu’il devait rester pour assurer la stabilité politique alors qu’Haïti se trouve à la croisée des chemins.
« Un vide du pouvoir organisé par le pouvoir en place »
Les adversaires du président Préval estiment que la prolongation de son mandat est
contraire à la Constitution haïtienne. Celle-ci prévoit en effet dans son article 134.1 : « La durée du mandat présidentiel est de cinq ans. Cette période commence et se terminera le 7 février suivant la date des élections » et dans l’article 134.3 « le Président de la République ne peut bénéficier de prolongation de mandat ». La prolongation du mandat présidentiel, telle qu’elle a été décidée par René Préval est non seulement contestée par les partis d’opposition, elle est aussi décriée au sein de la population haïtienne.
« Ces craintes sont tout à fait compréhensibles », estime Marcel Dorigny, historien et professeur à l'université Paris 8. « Même si leurs mandats ont été on ne peut plus discutables, les derniers présidents haïtiens ont au moins strictement respecté la durée de leur mandat. Ils n'ont ni essayé de le prolonger ni de se représenter en dehors de la Constitution. Alors que la pagaille électorale actuelle a créé un vide, avec le résultat des élections qui est arrivé plus de deux mois après le premier tour et avec l’organisation du deuxième seulement le 20 mars prochain. Et on se demande s'il n'y a pas de calculs derrière cela pour organiser en quelque sorte le désordre, organiser le vide. Et tout cela sert ceux qui sont actuellement au pouvoir ».
Ce que prévoit la Constitution
L’article 149 de la Constitution haïtienne prévoit pourtant qu’« en cas de vacance de la Présidence de la République pour quelque cause que ce soit, le président de la Cour de Cassation de la République ou, à son défaut, le Vice-Président de cette Cour ou à défaut de celui-ci, le juge le plus ancien et ainsi de suite par ordre d’ancienneté, est investi provisoirement de la fonction de Président de la République par l’Assemblée Nationale dûment convoquée par le Premier Ministre ».
Cette solution constitutionnelle face à une vacance du pouvoir est entrée en vigueur pour la dernière fois en 2004, au moment du départ précipité du président de l’époque, Jean-Bertrand Aristide. Aujourd’hui, l’opposition haïtienne appelle de ses vœux l’application stricte de la Constitution, c’est-à-dire : le départ de René Préval, ce lundi 7 février, et la formation d’un gouvernement de transition. Mais cette alternative demande du temps, un temps que beaucoup d’Haïtiens estiment désormais ne plus avoir.
« Il nous faut des réponses aux problèmes de la reconstruction »
Depuis jeudi dernier, le calendrier électoral a avancé, avec l’annonce des résultats du premier tour des élections. On connaît maintenant les deux finalistes qui vont se disputer le fauteuil présidentiel : Mirlande Manigat et Michel Martelly. Certains partis d’opposition ont tout de même appelé à des manifestations, ce lundi 7 février, pour réclamer le départ de René Préval. Reste à savoir, si la population suivra cet appel à la mobilisation.
« Je doute fort que le peuple haïtien est prêt à recommencer avec un nouveau gouvernement provisoire, un nouveau Conseil électoral provisoire. Ça va nous prendre encore une année », objecte Pierre Espérance, directeur du Réseau national des droits de l’homme en Haïti, puis il ajoute : « Alors qu'aujourd’hui, il est extrêmement important d'apporter des réponses aux problèmes de la reconstruction et à l'épidémie du choléra. On verra donc la réaction de la population ce 7 février. Mais je crois que malgré des nombreuses irrégularités et des fraudes enregistrées lors des élections du 28 novembre, le processus doit continuer pour qu'il y ait un nouveau président élu et un nouveau Parlement élu et ceci bientôt ».
Unité, le parti du président sortant, pourrait garder la main
Avec l’annonce des deux finalistes de la course à la présidence, Jude Célestin, le dauphin de René Préval, est définitivement écarté du second tour. Mais ce n’est pas pour autant que le parti du président sortant, Unité, va perdre son influence politique. Le coordonnateur du parti présidentiel, Joseph Lambert, a d’ailleurs déclaré, qu’Unité conservera sa majorité au Parlement après les élections. Dans ce cas, une cohabitation s’installera en Haïti entre le camp Préval et le nouveau chef d’Etat.
« Si le parti Unité conserve une majorité, peut-être même renforcée, au Sénat et à la Chambre des députés, il y a une marge considérable de blocage », prévient Marcel Dorigny. « A l'époque du premier mandat de Préval, donc entre les deux mandats d'Aristide, on avait également connu une situation de blocage complet puisqu'il n'y avait pas eu pendant plusieurs années de gouvernement ratifié. Il y avait un gouvernement nommé par le président Préval, mais qui n'était pas ratifié par l'Assemblée qui avait toujours refusé. Donc ce gouvernement ne pouvait en fait pas gouverner. ll ne pouvait qu'expédier les affaires courantes. C'est absolument catastrophique si on se retrouve dans cette situation-là, compte tenu de l'état d'Haïti après le séisme. Ou il faut prendre des décisions, ou il faut un gouvernement qui gouverne. Un gouvernement capable de donner une impulsion et surtout d'apporter des garanties à la communauté internationale qui va financer la reconstruction ».
L'élection d'un nouveau président ou d'une nouvelle présidente ne signifie pas automatiquement la fin de la crise politique en Haïti. Sauf si le nouveau chef d'Etat arrive à une entente avec la majorité parlementaire. Les deux candidats, Mirlande Manigat et Michel Martelly seront d'ailleurs obligés de composer avec cette réalité contraignante. Probablement, aucun d'entre eux ne disposera d'une majorité suffisante au Parlement.