Cuba s’engage dans les réformes économiques mais pas encore politiques

Dans le discours qu’il a prononcé dimanche soir, 1er août 2010, devant le Parlement, le président cubain Raul Castro a entrouvert la porte des réformes économiques mais écarté tout changement politique.

Pour tous les fins connaisseurs de Cuba, il est clair que quelque chose bouge actuellement mais quoi ? C’est toute la question… Depuis que Raul Castro a pris le pouvoir, il y a quatre ans jour pour jour, tous les observateurs se demandent quelle est la nature réelle de son pouvoir. Est-il seul maître à bord ou pieds et poings liés par les durs du Parti communiste ? Veut-il engager des réformes ou préserver, en l’état, l’héritage de la révolution cubaine ? La question se pose avec d’autant plus d’acuité que depuis quelques jours, Fidel Castro a fait sa réapparition sur le devant de la scène. Il est apparu sept fois en public en une semaine et il a encore reçu hier dimanche 1er août 2010 en audience publique, le ministre des Affaires étrangères chinois, Yang Jiechi qui était en visite à Cuba.

Le « Comandante », qui aura 84 ans le 14 août prochain, est-il en train de soutenir les réformes que son frère est en train d’engager ou au contraire de lui rappeler les principes de la révolution ? Janet Habel, spécialiste de Cuba, se demande comment l’interpréter : « Est-ce qu’il réapparaît aujourd’hui pour dire, à certains des appareils d’Etat qui sont opposés aux réformes économiques, vous avez tort, j’appuie les réformes que mon frère va faire, ou au contraire pour donner un signal d’une forme d’opposition ou en tout cas d’un refus de certaines de ces réformes ? Il est presque le seul à le savoir. »

Ouverture forcée du marché cubain

Ces réformes économiques sont le point central de l’évolution politique de Cuba dans les mois à venir. En les annonçant dimanche 1er août devant le Parlement, Raul Castro a été prudent : le gouvernement va bien engager « les changements socio-économiques attendus avec impatience par le peuple, mais pas à pas, au rythme que nous déterminerons nous-mêmes ».

A en croire Jean-Jacques Kourliandsky, spécialiste de géopolitique et historien, chargé de recherche à l'IRIS (Institut de recherches internationales et stratégiques) sur l'Amérique latine et l'Espagne, Cuba s’est piégé lui-même en reportant les réformes nécessaires : « Les dirigeants cubains se sont refusés à tout type de réforme, de type Perestroïka ou Glasnost comme il y en avait eu avec Gorbatchev à la fin de l’Union Soviétique et ils ne souhaitent pas non plus suivre la voie chinoise qui est le maintien du parti unique dans un système d’économie de marché. La marge est étroite étant donné les interdits dans lesquels se sont placés les dirigeants cubains entre le maintien du parti unique et le maintien de l’économie socialiste ».

Il y a pourtant urgence : le protectionnisme politique ne protège pas de la crise économique mondiale et Cuba subit actuellement de plein fouet la baisse du tourisme. Le manque de devises limite les importations, or les importations cubaines sont essentiellement des produits de première nécessité. Entre le maintien de la ligne politique et la réalité économique, Janet Habel ne voit pas beaucoup d’options pour le gouvernement cubain : « Pour l’instant le schéma possible, c’est d’adopter un certain nombre de réformes économiques, dans le sens d’une plus grande ouverture au marché, donc d’introduire plus de concurrence dans l’économie et de donner une place plus grande au secteur privé, ce qui déjà aura des conséquences sur le climat social et à terme politique mais pas à court terme , il n’y aura pas de grandes réformes politiques ».

Pas d’impunité pour les ennemis de la Patrie

Dans son discours au Parlement, Raul Castro a été très clair : « la révolution peut être généreuse parce qu’elle est forte et sa force réside dans l’appui majoritaire du peuple (…) en conséquence, il n’est pas vain de rappeler qu’il n’y aura pas d’impunité pour les ennemis de la Patrie, pour ceux qui tentent de mettre en danger notre indépendance ». Aucun des 53 prisonniers déjà libérés ou en voie de l’être « n’a été condamné pour ses idées » mais pour avoir « commis des délits au service du gouvernement des Etats-Unis et de sa politique de blocus et de subversion ». La libéralisation du régime n’est donc pas pour demain. Ces libérations ne sont qu’une concession temporaire à la communauté internationale, très remontée après la mort d’Orlando Zapata qui a succombé en février dernier à une grève de la faim de 85 jours.

Jacobo Machover, professeur, écrivain et journaliste et lui-même opposant au régime cubain et exilé en France, ne se fait donc guère d’illusions : «Il ne faut pas avoir d’illusions sur l’évolution du régime. Il faut encore faire pression. On n’est pas encore prêt de recouvrer la liberté. Il faut encore faire pression, c’est ce que souhaitent les Cubains à l’intérieur et ceux de l’exil le plus ardemment du monde ». Un message adressé à la communauté internationale.
 

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