Wikileaks dans le collimateur du Pentagone

Pour le secrétaire d'Etat américain à la défense, Robert Gates, la publication en ligne dimanche 25 juillet de milliers de documents militaires classifiés par le site Wikileaks met en danger les troupes américaines ainsi que leurs alliés et partenaires en Afghanistan. L’armée française aussi se trouve mise en cause par certaines de ces informations brutes qui jettent une lumière crue sur les bavures de la force internationale et sur le rôle du Pakistan.

Fort de son expérience de terrain sur plusieurs théâtres d'opération à l'étranger, le général français Christian Baptiste se méfie autant du cyber journalisme que des nouvelles pratiques de communication en général. D’après lui, la diffusion indiscriminée de documents confidentiels est une menace grandissante. Et cela, dit-il à Olivier Fourt, spécialiste de la défense à RFI, d’abord en raison du « support sur lequel transitent maintenant toutes les informations, un support dématérialisé et quelque chose qui navigue très bien sur internet et sur toutes les messageries. La deuxième raison, c’est un problème générationnel. Un certain nombre de jeunes et maintenant de moins jeunes sont habitués aux réseaux sociaux, à transférer des informations, à transférer des courriers, bref, en un clic à envoyer à quelqu’un d’autre des informations ».

Guerre de l’information

Selon le général Baptiste, ces nouvelles pratiques « déculpabilisent les personnes qui ne se rendent pas compte qu’elles vont manquer de loyauté ». D’après lui, « c’est nuisible » aux démocraties telles que la France dans la mesure où cela peut être de « de nature à les affaiblir » car, ajoute-t-il les « démocraties ont besoin d’un temps de confidentialité pour permettre de bâtir des rapports de force politiques, économiques ou encore pour échanger avec d’autres parties sur des positions à adopter ». Le général Christian Baptiste en appelle à prendre « conscience que ce n’est pas parce que ça voyage très facilement et que c’est ouvert » qu’il faut négliger les possibles « retombées négatives ».

Selon le président afghan Hamid Karzaï, la mise en ligne de ces documents met en danger la vie des informateurs. Pour sa part, le Pentagone américain va ouvrir une enquête pour évaluer l'impact des fuites et pour en découvrir la source. Depuis mai dernier, un jeune soldat américain, Bradley Manning est en prison pour s'être vanté d'avoir participé à la mise en ligne par Wikileaks de la vidéo d’une bavure américaine en Irak en 2007. Il risque 52 ans de prison. Et Wikileaks aussi peut craindre des poursuites judiciaires. Des accusations très dures pleuvent contre Wikileaks et son père fondateur l'Australien Julian Assange. L’amiral américain Mullen suggère ainsi « qu’il pourrait déjà avoir sur les mains le sang d’un jeune soldat ou d’une famille afghane ».

Cyber journalisme engagé

Julian Assange réplique que « c’est le rôle du journalisme de s’en prendre aux puissants qui réagissent lorsqu’ils sont mis au défi ». Le responsable de Wikileaks assure qu'il a pris ses précautions pour éviter de mettre des protagonistes innocents en danger. Mais de fait, son objectif affiché, c'est de dévoiler les petits secrets de cuisine des entreprises, des partis politiques ou des Etats. Et cela dans le cadre d’une nouvelle forme de journalisme engagé qui l’a vu mettre en ligne depuis sa création en 2006 la liste des membres d’un parti britannique d’extrême-droite, des manuels secrets de la secte de la Scientologie ou encore la fameuse bavure américaine à Bagdad dans laquelle deux employés de l’agence de presse Reuters ont trouvé la mort aux côtés de plusieurs autres personnes.

Wikileaks entre dans la catégorie de ce qu'il est, pour le moment, convenu d’appeler du data journalism, un cyber journalisme de données brutes livrées en vrac et sans éclairage aux internautes. Et cela dans un esprit de « service public ». Un service public du renseignement : c'est ce que revendique Julian Assange. Mais finalement le seul principe de transparence ne suffit pas à éclairer les néophytes quand on publie comme il vient de le faire 92 000 documents bruts et plutôt arides. C'est même illisible et cela pose la question de la crédibilité. Wikileaks avait donc opté pour une collaboration avec trois grands journaux internationaux, le New York Times américain, le Guardian britannique et le Spiegel allemand.

Pour Wikileaks, s’associer à des médias papiers est aussi une manière d’éviter la censure, d’accroître sa diffusion, mais aussi la lisibilité et la crédibilité des documents mis en ligne, une méthode très habile comme l’explique à Monique Mas de RFI la spécialiste des nouveaux médias à Reporters sans frontières, Lucie Morillon (voir encadré joint). Dans l’avenir, journalistes d’investigation et sites sensibles peuvent espérer trouver une base arrière dans un « paradis de l’information », en Islande où les démêlés internationaux de Wikileaks ont inspirés un projet de loi pour soutenir la liberté d’expression et celle de la presse.

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