Neuf Russes et une Péruvienne contre quatre Russes. L’échange d’espions avalisé par la Maison Blanche et le Kremlin ne concerne aucun citoyen américain, car il n’y en a aucun dans les prisons russes. Quand le scandale des dix espions russes arrêtés aux Etats-Unis a éclaté, et une proposition d’échange a été formulée, Moscou ne pouvait offrir que ses propres citoyens détenus en Russie. Et encore, pas forcément pour espionnage au profit de la CIA, mais aussi à celui des services britanniques, voire pour d’autres activités que l’espionnage.
En effet, l’un des prisonniers graciés dans la nuit de jeudi 8 au vendredi 9 juillet par le président Medvedev, Guennadi Vassilenko, n’a jamais été condamné sur accusation d’être un agent secret occidental – certes, formulée en 1998, mais abandonnée six mois plus tard. Ancien membre du KGB, puis du service de sécurité d’une chaîne de télévision, il a été condamné en 2006 pour possession illégale d’armes, préparation d’engins explosifs artisanaux et résistance à la police. Ayant écopé de trois ans de prison, il devait être libéré au plus tard en 2009. Les autorités russes n’ont jamais expliqué pourquoi il restait toujours emprisonné en 2010. En tout cas, c’est indirectement grâce à une affaire d’espionnage aux Etats-Unis qu’il retrouve maintenant sa liberté.
Espion ? Double espion ? Innocent ?
Les trois autres prisonniers russes, qui doivent leur transfert à l’Occident au dernier succès du FBI dans la traque des espions, sont Sergueï Skripal, Igor Soutiaguine et Alexandre Zaporojski.
L’histoire de Sergueï Skripal n’est pas très claire. Selon l’AFP et l’agence russe RIA Novosti, il aurait révélé des informations très détaillées sur des dizaines d’agents russes travaillant en Europe à l’agence de renseignement britannique MI6. Il s’agirait, entre autres, de leurs lieux de rencontres secrètes, de leurs adresses et de mots de passe utilisés. Cependant, le quotidien français Le Figaro cite les médias russes selon lesquels Skripal, après son arrestation, aurait refait la même opération à rebours, en dévoilant l’identité de dizaines d’espions russes œuvrant pour le MI6. Si c’est vrai, il risque de ne pas être accueilli par les Britanniques les bras ouverts. Une chose est sûre : avant d’être arrêté, il était colonel de GRU, le service de renseignements militaires russe.
Un autre ancien colonel, Alexandre Zaporojski, avait informé la CIA, de sa propre initiative, des activités des services secrets à l’étranger. Il a été arrêté en 2001 et condamné à 18 ans de camp.
Igor Soutiagine, lui, n’avait aucun grade militaire, aucune fonction au sein de services secrets, il clamait toujours son innocence et, selon le directeur adjoint de l’Institut des Etats-Unis et du Canada de l’Académie russe des sciences, Viktor Kremeniouk, « plusieurs des accusations à son encontre sont de la pure invention ». Ancien chercheur spécialisé en armement pour le même institut, Soutiagine travaillait également comme consultant pour une société britannique que l’accusation a présenté comme une couverture pour la CIA. Toutefois, l’intéressé assure qu’il ne lui transmettait que des informations accessibles dans le domaine public. Arrêté en 1999, il a été condamné en 2004 à 15 ans de camp.
Intérêts géopolitiques
Les présumés espions russes expulsés des Etats-Unis ont mené des activités beaucoup plus atypiques et difficiles à définir. Ils ont vécu aux Etats-Unis comme des citoyens tout à fait ordinaires. Le FBI a suivi le groupe depuis dix ans, mais on ne sait pas pour l’instant quelles preuves il a pu collecter contre eux. En tout cas, tous les dix, sauf une Péruvienne, ont reconnu utiliser des fausses identités et ont décliné leurs vrais noms russes. Ils ont reconnu avoir travaillé pour le compte des services secrets russes, mais on ignore quel genre d’informations sensibles avaient-ils transmis à Moscou. Selon certaines sources, le FBI aurait décidé de déclencher les arrestations uniquement parce que l’un des membres du groupe aurait entamé des préparatifs à quitter le pays.
On voit bien que l’application d’une procédure normalement prévue dans les situations de ce genre aurait mené à un procès coûteux, long, à l’issue incertaine, hyper médiatisé et mettant en péril la récente amélioration dans les relations russo-américaines. Or Washington a besoin de l’appui de Moscou dans le dossier iranien et pour préserver les voies d’approvisionnement des troupes en Afghanistan. La Russie, de son côté, ne peut pas rêver de rejoindre l’Organisation mondiale du commerce sans appui américain. C’est pour ces raisons géopolitiques qu’il y a, des deux côtés, une nette volonté politique d’en finir avec cette affaire aussi rapidement que possible et sans faire beaucoup de vagues.