« Il n’y a pas d’accord secret ! » Jean-Marc Ayrault droit dans ses bottes, mercredi après-midi, lors des questions au gouvernement à l’Assemblée nationale, où il est interrogé sur le « compromis » signé vendredi soir entre le gouvernement et Mittal. Le Premier ministre a préféré réserver la primeur d’une annonce officielle à l’intersyndicale de Florange, reçue à Matignon en fin d’après-midi (voir en bas d'article). « Il n’y a pas d’accord secret, mais du respect pour les syndicats, martèle Jean-Marc Ayrault devant les députés. C’était la moindre des choses » qu’ils soient informés les premiers.
Sauf que les termes de l’accord ont déjà fuité dans la presse, dès mardi après-midi dans Le Monde. Et depuis, les syndicats sont en colère, convaincus d’avoir été trompés lors d’une séquence qui laissera des traces pour le gouvernement.
Quoiqu’en dise le Premier ministre, sur les 180 millions d’euros sur cinq ans promis par Mittal, seul un gros tiers constitue des investissements nouveaux. Jean-Marc Ayrault s’est-il fait rouler dans la farine, s’interrogent les syndicalistes de Florange ? Dans la dernière ligne droite des négociations entre le gouvernement et Lakshmi Mittal, le propriétaire des hauts-fourneaux de Florange, le Premier ministre décide de prendre en main les discussions, en écartant Arnaud Montebourg, le ministre du Redressement productif. Seul son directeur de cabinet est présent. Jusqu’à 19 heures vendredi soir. Mais ce n’est qu’après que l’accord est finalisé. Et qu’Arnaud Montebourg a le sentiment d’avoir été manipulé. Pire, humilié.
« Conflit latent »
Jean-Marc Ayrault règle ses comptes avec son ministre, ardent défenseur d’une nationalisation temporaire de Florange. Soudain, la nationalisation n’est plus « une solution efficace ». Et le repreneur de Florange, avancé par Arnaud Montebourg, n’est pas jugé « crédible » par le Premier ministre. Fureur d’Arnaud Montebourg, qui obtient un rendez-vous avec François Hollande le samedi matin à l’Elysée. Le ministre met sa démission dans la balance. Le président refuse. Juste après le tournant du pacte de compétitivité en faveur des entreprises, François Hollande a besoin d’Arnaud Montebourg. « En gardant Montebourg au gouvernement, on ne perd pas la gauche de la gauche », assure un proche de François Hollande. Le chef de l’Etat contraint d’ailleurs son Premier ministre à diffuser un communiqué rendant hommage au travail du ministre du Redressement productif.
Arnaud Montebourg reste au gouvernement, mais il boude ostensiblement. Entre les deux hommes, Ayrault et Montebourg, la rancune est ancienne. Depuis 2007, lorsque le député de Saône-et-Loire s’était mis en tête de détrôner Jean-Marc Ayrault de la présidence du groupe socialiste à l’Assemblée nationale. « C’était violent », se souvient un socialiste. Et depuis six mois, le conflit était latent sur les dossiers industriels. »
« Ligne de fracture »
Au-delà du style (un ministre bouillant et un Premier ministre austère), il y a de vraies divergences entre les deux hommes. Entre le promoteur de la démondialisation et le social-démocrate bon teint, le fossé est grand. Des divergences qu’on retrouve au sein du gouvernement, et qui s’étalent encore publiquement. En témoigne le soutien apporté mardi à Arnaud Montebourg par la ministre de la Culture Aurélie Filippetti en faveur de la nationalisation. Certains n’hésitent pas à parler de « ligne de fracture » au sein du gouvernement. « La machine gouvernementale est faite pour arbitrer les désaccords, analyse le directeur de cabinet d’un ministre. Il est sain qu’il y ait des débats, dès lors que les arbitrages sont respectés. » Le problème, ici, c’est que les débats s’étalent sur la place publique, et que les arbitrages ne sont pas forcément respectés.
Florange est un symbole pour Hollande, comme Gandrange l’avait été pour Sarkozy. Le gouvernement traîne aujourd’hui le dossier comme un boulet. Certes, le pire a été évité ; il n’y a pas de licenciement. Mais les atermoiements ou les revirements du gouvernement sur la nationalisation risquent de faire des dégâts dans l’opinion. Jean-Marc Ayrault ressort affaibli de la séquence Florange. Il n’avait pas vraiment besoin de ça.
LE POINT DU JOUR
Jean-Marc Ayrault assume face aux syndicats, puis s'explique devant les Français. Comme il s'y était engagé, le chef du gouvernement a rencontré l'intersyndicale du site Arcelor-Mittal de Florange, ce mercredi 5 décembre. Il était sommé de s'expliquer sur l'accord passé avec l'industriel. Un peu plus tard, sur le plateau de France 2, M. Ayrault a de nouveau défendu l'option négociée par le gouvernement. Selon lui, il n'y aura pas de licenciement.
Jean-Marc Ayrault est par ailleurs revenu sur ses rapports avec Arnaud Montebourg.
A coup sûr, le Premier ministre n'a, en tout cas, pas convaincu les syndicats de Florange. C'est un euphémisme ! Les salariés se disent « trahis », alors que le gouvernement avait émis l'hypothèse d'une nationalisation temporaire de leur site industriel. Ils promettent de maintenir la pression, à l'image de Norbert Cima, délégué FO.
RFI