Une campagne test pour la nouvelle organisation du cacao en Côte d’Ivoire

La nouvelle campagne cacaoyère démarre officiellement ce mercredi 3 octobre en Côte d’Ivoire, le premier producteur mondial de fèves. La saison 2012-2013 n’est pas une campagne comme les autres, puisqu’elle inaugure une nouvelle organisation de la filière. Sans revenir à l’ancienne Caisse de stabilisation, l’Etat ivoirien a imaginé un système complexe qui permet de garantir un revenu minimum au producteur. Avec l’objectif de relancer la production de cacao ivoirien, en quantité et en qualité.

A la veille du lancement officiel de la campagne, mardi 2 octobre, les acheteurs de cacao vivaient leur dernière journée sous l’ancien système cacaoyer, c’est-à-dire avec une liberté totale de fixer les prix au producteur, le prix bord champ. Ces « pisteurs » se précipitaient sur les premiers sacs de fèves disponibles, les planteurs ayant déjà commencé à récolter. Quelques rares paysans consentaient à leur livrer le kilo de fèves entre 600 et 650 francs CFA (moins d’un euro). Mais la plupart des producteurs restaient assis sur leur premier stock de fèves, en attendant que le gouvernement fasse officiellement l’annonce du prix minimum auxquels ils devraient être désormais payés.

Car mercredi, le système totalement libéralisé, voire anarchique qui prévalait depuis près de quatorze ans en Côte d’Ivoire, du fait des soubresauts politiques puis de la guerre civile, aura fait long feu. Les pisteurs qui imposaient leurs prix en brousse devront désormais verser un prix minimum garanti aux planteurs. Le porte-parole du gouvernement en a divulgué le montant à la veille du lancement officiel : il sera de 725 francs CFA sur toute la durée de la campagne, quelle que soit l’évolution des cours mondiaux du cacao pendant cette période, et quels que soient les frais d’acheminement jusqu’au port.

Un prix minimum calculé à partir d’une bourse aux enchères

Pour parvenir à garantir ce prix bord champ aux paysans, il a fallu que l’Etat se mêle à nouveau un minimum de la commercialisation du cacao ivoirien, ce qu’il n’avait plus fait depuis 1999 et la suppression de la « Caisse de stabilisation et de soutien des prix des productions agricoles » (Caistab). L’Etat ivoirien se contentait d’accorder les licences d’exportation et d’encaisser des taxes, dont le fameux Droit unique de sortie (DUS) ; pendant la guerre civile, la rébellion prélevait de son côté, évidemment en toute illégalité, son tribut.

Le mécanisme de soutien des prix aux producteurs, qui a été imaginé par les nouvelles autorités d’Abidjan depuis l’élection d’Alassane Ouattara, n’est cependant pas un retour à cette Caistab : l’Etat n’achètera pas la récolte ivoirienne pour la commercialiser lui-même. Ce système, qui avait été complètement gangréné par la corruption dans les années 1980-1990, et qui ne jouait plus son rôle auprès des producteurs que grâce à la bonne volonté des banques, les dernières années, n’avait de toutes façons pas la faveur de la Banque mondiale ni du FMI, qui l’avaient condamné à l’époque. La Côte d’Ivoire, à peine sortie d’une décennie de guerre civile, n’est pas le Ghana, où le Cocoa Board (Cocobod), un organisme semblable à la Caistab, est chargé de vendre par anticipation la récolte ghanéenne sur les marchés et de payer ensuite les producteurs. Le Cocobod est salué pour sa bonne gestion et courtisé par toutes les grandes banques!

En Côte d’Ivoire, c’est plutôt un compromis entre le système administré et le tout libéral qui a été trouvé. L’Etat a mis en place une bourse aux enchères virtuelle, où les exportateurs privés, les multinationales, Cargill, ADM, Cemoi, Barry Callebaut, sont mis en concurrence sur des tonnages tous les jours, en fonction des cours mondiaux. Celui qui l’emporte s’engage à payer tel tonnage à tel prix. Depuis janvier, environ 70% de la prochaine récolte a été « réservée » par les exportateurs, par l’intermédiaire de cette bourse. C’est en faisant la moyenne des enchères depuis le début de l’année que l’Etat a calculé le prix minimum garanti aux planteurs, après avoir soustrait les frais des exportateurs pour acheminer les fèves jusqu’au port (le « barème »). Les exportateurs devront donc payer le prix garanti aux planteurs quelle que soit la valeur à laquelle ils auront commercialisé les tonnages de cacao tout au cours de la campagne. A charge pour l’Etat de faire la péréquation entre deux exportateurs pour qu’ils puissent verser ce même prix bord champ minimum. Mais le planteur, lui, ne supportera plus les fluctuations des cours.

La filière privée, pour conserver les marges les plus grandes possibles, aura négocié pied à pied avec l’Etat le « barème », qui inclut les coûts de transport. Fixé aux alentours de 80 francs CFA le kilo, il désavantage les acheteurs qui se fournissent dans les régions les plus éloignés des ports de San Pedro ou d’Abidjan. Certains d’entre eux menaçaient de bloquer l’évacuation des fèves ou de les faire passer en contrebande par le Ghana voisin…

Un pari : augmenter la production et sa qualité

Car le Cocobod ghanéen rémunérait jusqu’à présent bien mieux les fèves (un prix garanti équivalent à 1 000 francs CFA lors de la dernière campagne) que les exportateurs privés en Côte d’Ivoire (les prix pouvait varier de 400 à 800 francs CFA, malgré le prix indicatif de 1000 francs CFA conseillé par les autorités ivoiriennes, mais qu’elles n’avaient aucun moyen d’imposer). C’est pourquoi les planteurs ivoiriens attendent avec impatience de connaître le prix garanti au planteur dans le pays voisin.

Le succès du nouveau mécanisme et son approbation par les planteurs est vital pour toute la filière. Comme l’Etat, le secteur privé fait le pari qu’un prix minimum au producteur, stable sur toute une campagne, permettra aux planteurs de s’investir à nouveau dans le cacao. Car la production n’est pas à la hauteur de ce qu’on devrait attendre du premier producteur mondial : les vergers sont anciens, ils n’ont pas été renouvelés par les planteurs qui ne disposaient pas d’une incitation suffisante. Les producteurs ont même souvent abandonné le cacao pour des cultures plus rémunératrices et moins exigeantes, comme le caoutchouc. Les initiatives isolées des multinationales pour soutenir telle ou telle coopérative étaient largement insuffisantes. Sur les douze campagnes qui ont suivi le pic de 1999/2000 (1 403 600 tonnes), huit ont été inférieures en tonnage, alors que dans le même temps, la demande de l’industrie du chocolat ne cessait de progresser (de près de 3 millions de tonnes en 1999/2000, les quantités broyées sont passées à près de 4 millions de tonnes en 2011/2012, d’après l’ICCO).

Faute de revenu suffisant, les planteurs ont aussi laissé la qualité du cacao ivoirien décliner, par rapport au cacao des pays voisins ou d’autres origines : mal fermenté, mal séché, il était moins bien commercialisé, et donc moins bien payé aux planteurs qui se voyaient appliquer une décote. Un vrai cercle vicieux que la réforme espère briser. Si les fèves contiennent plus de 9 % d’humidité, les acheteurs devront désormais les refuser, ils n’auront plus le droit de les acheter à vil prix.

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