Les enjeux du sommet de la Ligue arabe en Irak

Les chefs d’Etat et de gouvernement de la Ligue arabe se réunissent ce jeudi 29 mars 2012 à Bagdad. L’Irak accueille pour la première fois depuis plus de vingt ans un sommet de la Ligue arabe sur son sol. De cette façon, Bagdad souhaite revenir sur la scène internationale et montrer à la face du monde que l’Irak est désormais capable de maîtriser sa sécurité et sa destinée, quatre mois après le retrait des dernières troupes américaines. Les discussions porteront essentiellement sur la Syrie et sur les conséquences du «printemps arabe», alors que l’Irak prend la présidence tournante de la Ligue arabe et succède à la Libye – de fait au Qatar, pays très offensif en particulier dans les dossiers libyen et syrien et qui assurait l’intérim suite à l’effondrement du régime libyen en 2011.

Lors du sommet des chefs d’Etat de la Ligue arabe, les pays membres (22 Etats) sont censés examiner les solutions pour régler les conflits et prendre des décisions sur les principaux dossiers. La Syrie, qui a été suspendue de la Ligue arabe le 12 novembre 2011 à cause de la répression, sera donc le principal enjeu des discussions. Les ministres des Affaires étrangères de la Ligue arabe étaient réunis ce mercredi, à la veille du sommet des chefs d’Etat du 29 mars, pour préparer un projet de résolution générale qui sera largement dominée par la situation en Syrie.

Jusqu’à présent, l’Irak – dont le Premier ministre Nouri al-Maliki est de confession chiite – n’avait pas pris de position tranchée concernant le dossier syrien. Le gouvernement se réjouit pour l’instant que la Syrie ait accepté le plan en six points proposé par Kofi Annan, l’émissaire spécial conjoint de la Ligue arabe et des Nations unies. Mais d’autres pays comme le Qatar ou l’Arabie Saoudite, dirigés par des sunnites, plus offensifs, veulent clairement la chute du régime de Bachar el-Assad de confession alaouite, une branche du chiisme. En revanche, l’Algérie, l’Egypte et l’Irak adoptent des positions plus prudentes et craignent une flambée de la violence dans toute la région.

L’Irak, un fragile équilibre ethnique et confessionnel

Ce sommet de Bagdad, neuf ans après l’invasion, l’occupation et enfin quatre mois après le retrait des dernières troupes américaines, fait apparaître l’instabilité et la fragilité du régime irakien, dans un contexte de violents attentats perpétrés depuis le début de l’année, qui font craindre un retour aux années les plus meurtrières, entre 2005 et 2007. De fait, le gouvernement de Nouri al-Maliki repose sur un fragile équilibre ethnique (notamment Arabes et Kurdes) et confessionnel (sunnites et chiites) – et d’autres minorités souvent ignorées. Beaucoup lui reprochent en outre de ne pas avoir respecté les bases de partage du pouvoir, notamment prévues dans la Constitution préparée en 2005 avec le concours des Américains.

C’est dans ce contexte de tensions et de conflits non réglés et inachevés que s’ouvre ce sommet de la Ligue arabe à Bagdad, alors qu’au quotidien, le gouvernement n’arrive pas à garantir la sécurité, la santé, l’éducation et les emplois à ses propres citoyens. Les autorités irakiennes ont d’ailleurs déployé un dispositif de plus de 100 000 soldats et policiers, et des mesures de sécurité qui paralysent la capitale. Autre particularité de ce sommet : ce sera la première fois dans l’histoire de la Ligue arabe qu’un sommet sera présidé par un Kurde, Jalal Talabani, le président irakien.

Bagdad veut afficher sa souveraineté retrouvée malgré l’insécurité

Bagdad n’avait pas accueilli de sommet de la Ligue arabe depuis mars 1990. A l’époque, l’Irak de Saddam Hussein, exsangue après huit ans de guerre avec son voisin iranien (1980-1988), accusait le Koweït de pomper ses propres réserves de brut en sous-sol, et a envahi ce petit pays du golfe Persique. La Ligue arabe à l’époque était très divisée, plusieurs pays avaient boycotté le sommet de Bagdad, dont la Syrie. Ce sommet avait signé les prémices de la première guerre du Golfe de 1991, avec l’invasion américaine et ses troupes stationnées notamment en Arabie Saoudite. La deuxième guerre du Golfe en 2003, menée par les Etats-Unis, visait à renverser le régime de Saddam Hussein, sous couvert de soupçons de présence d’armes de destruction massive (jamais découvertes). Le bilan fut meurtrier, et les clivages intercommunautaires et confessionnels se sont mués en attentats quasi quotidiens. Après le retrait américain, le gouvernement de Nouri al-Maliki veut afficher une souveraineté retrouvée et une stabilité vis-à-vis de ses partenaires de la Ligue arabe, mais ne veut surtout pas replonger dans ces années de violence.

La peur de l’embrasement : une paix affichée avec ses voisins

Après la guerre meurtrière entre l’Iran et l’Irak (1980-1988), « les relations sont revenues à la normale » entre Bagdad et Téhéran, a déclaré le Premier ministre irakien Nouri al-Maliki en juillet 2011, lorsque les deux pays ont décidé de renouer officiellement leurs relations diplomatiques. A tel point d’ailleurs que les Etats-Unis accusent désormais l’Iran de fournir des armes à la Syrie via l’Irak.

Rappelons que Nouri al-Maliki est de confession chiite (tout comme les dirigeants iraniens) et se considère proche du régime de Bachar el Assad – qui est alaouite, une branche du chiisme. Le vice-président irakien Tarek al-Hachemi est sunnite, il se positionne clairement contre le régime syrien et soutient l’opposition. A cela s’ajoutent les multiples groupes confessionnels au sein même des chiites en Irak, aux prises des différentes factions très éclatées et divisées depuis l’invasion américaine. La dimension confessionnelle du conflit en Irak aura donc certainement un impact sur les discussions concernant la Syrie. Bagdad affiche déjà une prudence extrême sur les termes de la résolution qui devrait être votée ce jeudi sur le dossier syrien.

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