Jusqu’à la grande manifestation du vendredi 8 juillet, les Frères musulmans et les révolutionnaires semblaient avancer main dans la main. Cette entente entre ceux qui avaient réussi à renverser le président Hosni Moubarak grâce à leurs efforts conjugués mais aussi grâce à la neutralité de l’armée, a commencé à s’effilocher.
Au grand dam des radicaux, la confrérie a ordonné à ses troupes de se retirer de la place Tahrir et des autres places d’Alexandrie, de Suez et d’ailleurs. Le motif invoqué : le gouvernement et l’armée ont accédé à de nombreuses revendications de la révolution, il faut maintenant leur laisser la chance d’agir.
« L’occupation des places est contre-productive » ont affirmé les membres de la confrérie dans tous les débats où ils étaient invités. De la musique aux oreilles de l’armée qui avait demandé l’évacuation des places « pour que la roue de la production puisse tourner ».
Des révolutionnaires trop « fantasques »
La position des Frères musulmans qui a déçu pour ne pas dire outré les révolutionnaires radicaux avait pourtant été précédée de nombreux signes avant-coureurs. La confrérie n’avait pas participé au premier jour de la révolution, le mardi 25 janvier. Elle ne l’a, en fait, rejointe que le vendredi 28 janvier. Entre temps les jeunes révolutionnaires radicaux étaient parvenus à déstabiliser une police qui ne parvenait pas à mater ces manifestations atypiques.
Très vite, l’armée qui jouait les arbitres semble avoir marqué sa préférence pour la confrérie disciplinée, au détriment de révolutionnaires « fantasques » à ses yeux. Les militaires ont toutefois attendu que Hosni Moubarak, héros de l’armée malgré tout, se désiste du pouvoir pour entamer le rapprochement avec les Frères.
L’armée a nommé Tarek el-Bashri, un proche de la confrérie, à la tête d’une commission chargée d’amender une Constitution pourtant suspendue par le Conseil suprême des militaires qui cumulait les prérogatives du chef de l’État et du pouvoir législatif. Une décision qui a déplu aux radicaux et aux libéraux qui ont décidé de faire campagne en faveur du «non» lors du référendum sur les amendements de la Constitution en mars.
Les Frères musulmans mais aussi les autres composantes du courant islamiste, les salafistes et la Jamaa Islamiya ont milité en faveur du «oui».
La victoire a été sans appel : le «oui» l’a emporté avec 77,8% des suffrages.
Un agenda stratégique
L’accrochage suivant est venu quand radicaux et libéraux ont cherché à renverser le calendrier prévu par le référendum : législatives suivies de la rédaction de la Constitution.
Les radicaux et libéraux craignent que les Frères musulmans, seule force politique organisée du pays, ne remportent la majorité parlementaire. Or le référendum voulu par l’armée prévoit la nomination par le Parlement d’une assemblée constituante chargée de rédiger une nouvelle Constitution avant l'élection présidentielle.
Une fois de plus, la confrérie a réussi à imposer son point de vue qui correspondait à celui de l’armée.
En se rapprochant de l’armée et en prenant des distances à l’égard des occupations de places, la confrérie espère apparaître comme la force pouvant apporter la stabilité au pays tout en contrôlant les fondamentalistes salafistes et les violents repentis de la Jamaa Islamiya. Une position que les Frères musulmans espèrent voir payée en retour par une victoire lors des législatives et sénatoriales, prévues entre octobre et novembre de cette année.
Cette stratégie n’empêchera pas la confrérie de manœuvrer tactiquement des rapprochements sporadiques avec les révolutionnaires pour ne pas non plus apparaître comme le successeur du défunt Parti national démocrate du président Hosni Moubarak.