Certes, il y a eu des seconds rôles d'importance dans la marche vers l'indépendance du Sud-Soudan, comme Sadiq al-Mahdi, ex-Premier ministre, renversé par Omar el-Béchir en 1989, opposant de toujours ; Hassan el-Tourabi, beau-frère de son prédécesseur, leader du Front national islamique, ex-Premier ministre et mentor d'Omar el-Béchir, passé à l'opposition, plusieurs fois emprisonné ; Riek Machar, actuel vice-président du Sud-Soudan, compagnon d'armes de John Garang avant de provoquer, avec d'autres officiers, une scission qui faillit être fatale à l'armée de libération des peuples soudanais (SPLA), en 1991 ; à ses côtés, l'intellectuel Lam Akol, ex-SPLA, vu souvent à Khartoum après 1991. Lam Akol fut ministre des Affaires étrangères du Soudan (2005-2007) et il préside aujourd'hui le Mouvement de libération des peuples soudanais pour le changement démocratique, dans l'opposition. Cependant, six personnalités ont occupé la scène et « accouché » le nouvel Etat du Sud-Soudan.
Le «trublion»
Agé aujourd'hui de 67 ans, le général Omar el-Béchir a fait ses classes en Egypte dans les années 60. En 1973, il participe à la guerre israélo-arabe. Attaché militaire aux Emirats arabes unis en 1976, il rentre au Soudan où il commande une garnison. Le 30 juin 1989, soutenu par les islamistes, le lieutenant-général el-Béchir renverse le gouvernement de Sadiq al-Mahdi. Président du Soudan en 1993, il gouverne d'une main de fer, passant son temps à vouloir écraser les rébellions internes, en attisant les divisions et armant les ethnies les unes contre les autres sans emporter de victoire décisive avec le but de garder le pouvoir à Khartoum. Le Soudan accueille Oussama Ben Laden dès 1991. Sous la pression des Etats-Unis, Omar el-Béchir est obligé de l'expulser en 1995. Qu'est-ce qui amène le général Béchir à la table des négociations avec le Sud-Soudan ? Le commerce. Sous son règne, l'exploitation du pétrole soudanais prend son essor mais l'embargo américain prive le pays de multiples facilités. Les attentats du 11 septembre 2001 lui offre une occasion de se rapprocher des Etats-Unis. Omar el-Béchir a aussi besoin de se concentrer sur le Darfour et donc de clore la question du Sud-Soudan. Le Darfour lui vaut deux mandats d'arrêt de la Cour pénale internationale pour crimes contre l'humanité. Le président soudanais choisit aujourd'hui ses destinations en fonction des relations de l'Etat hôte avec la Convention de Rome et les droits de l'homme. Après les élections de 2010, il a annoncé qu'il ne briguerait plus de mandat présidentiel.
Les acteurs
John Garang de Mabior, économiste de formation, a pris les armes en 1968 lors de la première rébellion sudiste Anynya I. Intégré dans l'armée soudanaise au rang de capitaine après les accords de paix, il poursuit néanmoins ses études d'économie à Khartoum. En 1983, il est envoyé par le président Jaafar Nimeiry à la garnison de Bor dans le Sud-Soudan pour reprendre en mains des soldats mutins. Quelques jours plus tard, Dr John Garang de Mabior fonde l'Armée de libération des peuples soudanais (SPLA). Il mène la guérilla avec poigne, écartant les gêneurs par la prison ou par les armes. Ses accolytes lui reprochent de favoriser son ethnie, les Dinka de Bor. Résultat : en 1991, la SPLA implose. S'ensuit une série de massacres inter-ethniques. Les divisions de la guérilla sudiste ont encore leur écho aujourd'hui. John Garang ne s'est jamais prononcé clairement sur l'indépendance du Sud. A quelques semaines de sa prestation de serment à Khartoum, le 8 juillet 2005, il envisage toujours la possibilité d'une confédération de deux Etats. Le 30 juillet, l'hélicoptère qui le transporte s'écrase en Equatoria oriental.
Salva Kiir Mayardit, d'origine dinka mais d'un clan différent de John Garang, est un guérillero de Anyanya I qu'il a rejoint dans les années 60. Après les accords de paix en 1972, il est intégré dans l'armée soudanaise. En 1983, il reprend les armes contre Khartoum et il est bientôt en charge de la branche armée du Mouvement pour la libération des peuples soudanais (SPLM). Réservé, discret, Salva Kiir est un homme de terrain plutôt qu'un intellectuel. Il fait cependant partie des premières équipes de négociations des accords de paix avec le gouvernement de Khartoum. Lorsqu'en 2005, il hérite de la charge de John Garang décédé dans un accident d'hélicoptère, bien peu de gens misent sur la capacité de Salva Kiir de reprendre le flambeau. Pourtant au fil des années, Salva Kiir se révèle au-delà du stratège, un habile négociateur avec le gouvernement de Khartoum. Elevant la voix quand il faut et sachant être conciliant. Il abat ses cartes en juillet 2010 : le Sud-Soudan sera indépendant. Il gère le processus du référendum de main de maître, selon les observateurs. Aujourd'hui, le président de la République du Sud-Soudan a fort à faire, avec des problèmes de sécurité interne, périphérique (Sud-Kordofan) et une opposition en pleine ébullition.
Surnommé « barre de fer » lorsqu'il était étudiant à la faculté de droit à Khartoum, Ali Osman Taha fait partie de la jeune garde islamiste des années 80. Juge, il prend ses conseils auprès de Hassan el-Tourabi -devenu cousin par alliance-, qui préside le Front national islamique. Il participe activement au coup d'Etat de 1989 et est l'artisan de l'application de la charia au Soudan. En 1999, après la rupture avec el-Tourabi, Ali Osman Taha exerce le pouvoir en duo avec le militaire Omar el-Béchir. Il est l'homme du quotidien de la politique soudanaise. «Habile et machiavélique» disent de lui les diplomates. Lorsque les rebelles du Darfour prennent Al-Fasher en 2003, Ali Osman Taha est en pleine négociations avec les Sudistes. Chargé de la sécurité intérieure, il abandonne les discussions au Kenya pour mener les opérations militaires au Darfour pendant un an. Il arme les forces populaires de défense (milices locales) et les janjaweed. « Personne n'est parfait dans la gestion du Darfour. En temps de guerre, les évènements sont hors normes » dit-il aujourd'hui de cette période. « Faiseur de paix au Sud et orchestrateur de la contre-insurrection au Darfour », selon l'expression de International Crisis Group, sa vice-présidence est une habile façon de se rendre indispensable dans la gestion des affaires soudanaises et à l'international.
Les médiateurs
Cinq jours avant les attentats du 11 septembre 2011, John Danforth, surnommé « Saint Jack » par les Américains, en référence à ses qualités personnelles et sa fonction de pasteur épiscopalien, est désigné par George W. Bush comme émissaire spécial au Soudan. L'ancien sénateur ne se rend que fin novembre sur le terrain. Entre temps, les sanctions du Conseil de sécurité contre le Soudan sont levées, grâce à l’abstention des Etats-Unis. Les dirigeants soudanais autorisent les Nations unies à pénétrer dans les monts Nouba, une zone restée inaccessible pendant dix ans. « Saint Jack » obtient un cessez-le feu dans ces montagnes. Le 14 janvier 2002, à Burgenstock (Suisse), une équipe suisse de négociateurs formalise l’accord sur cette région pour une durée de six mois. John Danforth entame alors son travail de négociations de paix entre le Nord et le Sud. Mois après mois, il obtient les signatures des deux parties sur un cessez-le-feu général en octobre 2002. Les protocoles de l'accord de paix sont signés le 26 mai 2004. Deux mois plus tard, John Danforth est nommé ambassadeur aux Nations unies. Il démissionne à la fin de l'année, exaspéré par l'attitude de l'organisation internationale dans le dossier du Darfour.
Le général Lazarus Kipkurui Sumbeiywo, fils de soldat du Kings African Rifles, et petit-frère d'un officier de renseignements, a eu une carrière éclair au sein de l'armée kenyane avant d'être appelé par le président Daniel Arap Moi en 1994 pour un premier round de négociations entre Khartoum et le Mouvement pour la libération des peuples soudanais (SPLM). Sans succès. Lorsqu'en 2001, le chef de l'Etat lui demande de jouer à nouveau les médiateurs, le général, fervent chrétien, passe trois jours en jeûne et en prières, confiera-t-il plus tard au cours d'un entretien. La première rencontre entre le Nord et le Sud Soudan se déroule en mai 2002 à Karen, dans les faubourgs de Nairobi. Elle est houleuse et le général Sumbeiywo est accusé par les Sudistes d'être manipulé. La suivante, à Machakos, est du même style : les Soudanais lui reprochent d'être inféodé aux Américains. Le militaire leur répond sèchement qu'il n'est pas aux ordres de Washington et... les Américains commencent à se méfier de lui et lui font sentir qu'il est inutile à la négociation. Finalement, l'Autorité intergouvernementale pour le développement, organisation régionale regroupant 6 pays (7 à l'époque), mandate le Kenyan à la table des négociations. Selon le témoignage du général, John Garang et Ali Osman Taha jouent une petite guerre des nerfs et se ménagent des rendez-vous à deux au cours des différentes étapes de négociations avec comme témoin une bouteille d'eau. « Ali était persuadé que si c'était lui qui versait de l'eau dans les verres, la réunion ne serait pas fructueuse. Il attendait que John prenne la bouteille ». Lazarus Sumbeiywo se souvient de la clairvoyance du vice-président capable de « calculer son moment » pour obtenir ce qu'il voulait et la « douceur naturelle et la compassion » de John Garang qui a rendu les choses faciles. La paix est signée le 9 mai 2005, à Nairobi.