L’Otan multiplie ses raids sur Tripoli où Mouammar Kadhafi continue à lui tenir tête malgré une escalade militaire dans laquelle il a perdu l’un de ses fils et trois de ses petits-fils le 1er mai dernier. En deux mois, depuis le 18 mars, les frappes de l’Otan ont décimé sa flotte aéronavale et ses forces blindées sans parvenir à imposer le Conseil national de transition (CNT) à la tête de la Libye. Un objectif qui n’est pas inscrit dans la résolution 1973 que la France et le Royaume-Uni ont fait adopter par le Conseil de sécurité de l’ONU le 17 mars 2011.
La rébellion « seul représentant de la Libye »
Dans cette guerre au régime de Mouammar Kadhafi engagée par une coalition franco-britannique, l’administration Obama n’a pas réclamé le commandement finalement confié à l’Otan. Mais l’idée d’un transfert du pouvoir libyen aux rebelles de Benghazi a fait son chemin diplomatique de Paris (qui a reconnu le CNT le 10 mars dernier comme « seul représentant de la Libye ») jusqu’à Londres et Bruxelles puis Washington, en attendant Moscou.
En ce début de semaine, l’Otan a mené « entre 12 et 18 raids contre une caserne de la garde populaire » qui protège le secteur de Bab al-Aziziya, la résidence du colonel Kadhafi. Mais le tapis de bombes ne suffit visiblement pas, à défaut d’une entrée en lice significative de combattants du CNT. Paris et Londres ont donc annoncé l'envoi d'hélicoptères d’attaque pour des frappes au sol « plus précises », selon le ministre français des Affaires étrangères, Alain Juppé. Sans troupes au sol, il est en effet très difficile de déloger les fantassins et la cavalerie blindée de Kadhafi infiltrés en zones urbaines au plus près des populations.
La résolution 1973 couvre la coalition franco-britannique pour ce qui est des « mesures nécessaires pour protéger les populations et les zones civiles ». Elle l’a également autorisée à « faire en sorte que des aéronefs ne puissent pas êtres utilisés contre la population civile », une mission déjà largement remplie par les avions de chasse français. Et le navire de guerre français dépêché la semaine dernière dans les eaux libyennes combine des fonctions de transport de troupes à celles de porte-hélicoptères et de commandement. Aller plus loin demanderait quelques contorsions diplomatiques sinon un nouveau mandat de l’ONU.
Appui financier et diplomatique
La résolution 1973 exclut « le déploiement d’une force d’occupation étrangère sous quelque forme que ce soit et sur n’importe quelle partie du territoire libyen », ce qui n’a pas empêché Londres, Paris et Rome d’envoyer des conseillers militaires auprès du CNT le 20 avril dernier. Mais l’essentiel se jouait déjà au plan diplomatique avec en particulier la création le 5 mai dernier d’un fonds spécial d’aide au CNT marquant l’engagement côté rebelles du Groupe de contact pour la Libye.
Créé fin mars avec les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, la France et une vingtaine de pays, le Groupe de contact pour la Libye avait obtenu la caution de pays arabes comme le Qatar, la Jordanie ou le Maroc et des organisations internationales, dont l'ONU, la Ligue arabe et l'Otan. Son idée est de garantir une ligne de crédit au profit du CNT avec les avoirs du clan Kadhafi gelés par l'ONU et l'Union européenne. Pour sa part, le Qatar a offert son aide à la rébellion pour exploiter les réserves pétrolières situées dans l’Est libyen qu’elle contrôle.
C’est aussi au Qatar que le CNT a reçu ce 24 mai le représentant spécial de l'ONU, le Jordanien Abdel Ilah Khatib « pour trouver une solution politique et appliquer les résolutions 1770 et 1973 sur un cessez-le-feu et la protection des populations civiles ». Pour sa part, le CNT refuse toute négociation avec Mouammar Kadhafi dont les insurgés réclament le départ depuis la mi-février. Pour autant, de toute évidence, le CNT n’est pas en mesure de tenir front militairement aux forces du colonel Kadhafi. Il en laisse le soin à l’Otan. A charge pour les rebelles de mener l’offensive diplomatique.
Pour Washington aussi Kadhafi doit partir
Pour ne pas se priver de tout lien diplomatique avec la rébellion basée dans la deuxième ville du pays, Benghazi où Paris a disposé d’un représentant, le diplomate Antoine Sevan depuis mars dernier, Washington a dépêché lundi 23 mai un envoyé surprise dans la « capitale » du CNT, le sous-secrétaire d'Etat chargé des affaires du Proche-Orient, Jeffrey Feltman. De Benghazi, ce dernier a exhorté Mouammar Kadhafi à lâcher les rênes de son pays et même à quitter la Libye. Une consécration pour le président du CNT, Moustapha Abdeljalil, auquel le président français, Nicolas Sarkozy a même promis une visite de soutien.
Selon Washington, il faut voir dans la visite de Feltman à Benghazi « un signal de plus du soutien américain au CNT comme interlocuteur crédible et légitime ». De son côté, l’Union européenne a d’ores et déjà élevé la rébellion au rang « d'interlocuteur politique clé représentant les aspirations du peuple libyen » et l’ouverture annoncée d’une « représentation du CNT en France » ne fera que conforter ce statut de partenaire international accordé à la rébellion, sans grandes formalités ni précautions d’usage.
Après s’être abstenu de voter la résolution 1973, la Russie continuait quand à elle à prôner une trêve et des pourparlers de paix entre les opposants et le régime. C’est aussi une position largement partagée en Afrique sub-saharienne où de nombreux chefs d’Etats ou de gouvernement sont des obligés du colonel Kadhafi. Un dernier recours pour ce dernier qui compte sur la réunion de l’Union africaine programmée à Addis Abeba les 25 et 26 mai.
Recevant à son tour la visite de représentants de la rébellion, Moscou souligne désormais que le CNT est un « partenaire légitime » de négociation sur l'avenir de la Libye. Autant dire que la Russie ne se risque pas très avant dans la défense d’un colonel Kadhafi condamné d’avance, comme le suggère le témoignage recueilli par l’Agence France Presse auprès d’un haut responsable militaire de l’Otan : « On se dit qu'il faut accélérer, augmenter le rythme de nos opérations, pour que le fruit tombe tout seul… et que fin juin, début juillet Kadhafi soit tombé ».
La crise libyenne sera sans aucun doute abordée par le G8 qui s'ouvre le 26 mai à Deauville. Saïd Haddad, maître de conférences et en charge de la rubrique Libye de la revue «L'année du Maghreb» revient sur ce qu'on peut attendre de ce sommet.