Dernière minute : Le Nigeria a décidé le report au lundi 3 avril 2011 des élections législatives à cause de problèmes d'organisation ayant entaché le vote prévu ce samedi 2 avril 2011, a annoncé le chef de la commission électorale, afin notamment de « préserver l'intégrité des élections et de conserver un contrôle général effectif du processus ».
« Aller, voter ? Bien sûr, c’est notre devoir de citoyen, même si cela n’améliore pas notre quotidien ». La réflexion revient souvent dans les conversations. En dépit de la manne pétrolière et des promesses des différents dirigeants qui se sont succédés au pouvoir depuis le retour de la démocratie en 1999, le constat des Nigérians est souvent désabusé.
Absence quasi permanente d'électricité, un système scolaire et de santé en déconfiture et une majorité de la population qui vie avec moins de deux dollars par jour. « Difficile de voir la portée de son vote », concède James, 29, agent de sécurité. « Même si c’est en train de changer. Notre bulletin c’est notre pouvoir. On en a conscience maintenant ».
Le signe que la démocratie nigériane se porte bien ?
« Effectivement, de manière générale, elle va mieux car il n’est plus question de coup d’Etat militaire, mais il y a un bémol, explique Tajudeen Akanji, chercheur au centre d'étude sur les conflits et la paix de l’université d’Ibadan, quand on y regarde de plus prêt, il faut admettre que nos institutions ne fonctionnent pas. Notre pays est dirigé par une petite élite, gangrenée par la corruption et prête à tout pour avoir sa part du gâteau ».
Des élections jouées d’avance ?
Pour l’heure, ce gâteau de pétrodollars est détenu par le Parti Démocratique du Peuple (PDP). Véritable machine électorale, le parti a remporté toutes les élections présidentielles. Majoritaire à l’Assemblée nationale et au Sénat avec près de 3/4 des sièges, le parti détient aussi 27 des 36 Etats de la fédération.
Il n'empêche ces quatrièmes élections générales pourraient bien redessiner la carte politique du Nigeria. Avec 63 partis en lice, 19 candidats à la présidentielle, plus de 100 politiciens qui lorgnent les postes de gouverneurs et des milliers pour les parlementaires, ces scrutins s’annoncent comme les plus disputés de l’histoire du pays.
Si le chef de l’Etat sortant Goodluck Jonathan, chrétien du Sud, part favoris de la course à la présidentielle -deux sondages réalisés par Ipsos et TNS le créditent de plus de 60% des suffrages- pour s’assurer la victoire dés le premier tour, il doit obtenir 25% des votes dans les 2/3 des Etats de la fédération. Une donne que comptent bien bousculer ses trois principaux adversaires.
En s’appuyant sur leurs soutiens régionaux, l’ex-général Muhammadu Buhari, dans le Nord-Est, Nuhu Ribadu dans le Sud-Ouest et Ibrahim Shekarau dans le Nord misent sur un second tour. Au delà de cette bataille, les observateurs estiment que le PDP pourrait également être mis en difficulté par le CPC (Congres pour le Changement progressif), ACN (L’action Congress du Nigeria) et LP (parti travailliste) lors des élections parlementaires et des gouverneurs et ainsi porter un coup à 12 ans de domination du parti au pouvoir.
Des élections libres et transparentes ?
Bourrages d’urnes, inscriptions de faux noms tels que Nelson Mandela, Mike Tyson ou encore Michael Jackson, les élections de 2007 avaient été entachées de fraudes et largement critiquées par la communauté internationale. Celles-ci seront « libres et transparentes ». La formule a été martelée par le président sortant Goodluck Jonathan depuis son arrivée au pouvoir en mai 2010.
Gage de sa crédibilité, il a nommé à la tête de l’Inec, la Commission nationale électorale indépendante, Attahiru Jega, un universitaire, réputé droit et intransigeant qui s’est attelé à déployer le maximum de bureau de votes dans le pays et à renouveler le fichier électoral. Environ 200 observateurs étrangers ont été déployés. Quant aux 73,5 millions d'électeurs, ils espèrent beaucoup de leur vote. « Les attentes sont telles qu’on ne peut pas se permettre une seule erreur », estime Jide Ojo, de l’IFES, la Fondation internationale pour les systèmes électoraux. « La sécurité les jours de vote sera le véritable test, elle sera clé pour déterminer la perception des électeurs ».
Le poids des jeunes ?
Premiers à attendre de ces élections : les jeunes. Les moins de 35 ans représentent près de 65% des 73,5 millions d'électeurs soit quelques 47 millions de personnes. Une cible qui n’a pas échappée aux hommes politiques. Pendant que certains exploitent le sous-emploi en armant des gangs, les candidats cherchent aussi à récolter leurs voix. Le président sortant Goodluck Jonathan en tête de file.
Depuis bientôt un an, il abreuve son compte Facebook et Twitter de posts quasi-quotidiens. Ces dernières semaines, il s’est même fendu d’une pub caricaturale dans les quotidiens. On l’y voit, les bras croisés, un polo rayé sur le dos, tel le parfait étudiant surmonté d’un grand LOL (Laugh out Loud en anglais) d’un smiley et de cette phrase : « il n’y a qu’un président qui comprend votre langage ».
Cyberconnectés et branchés sur Blackberry, toute une frange d’étudiants et de revenants au pays se sont d’ailleurs emparés du champ politique. Bien décidés à faire valoir leurs droits, ils se sont organisés en associations. Depuis plusieurs mois, des groupes tels que Sleeves Up, Vote or Quench, Enough is Enough, battent campagne au son de « votre vote compte ». Afin de contrôler la crédibilité des scrutins, ils ont aussi mis au point des logiciels pour smartphone (Revoda par exemple) permettant à tout votant d’échanger des informations et des photos.
Le rôle des nouvelles technologies ?
Après avoir crée polémique, le cellulaire a finalement été accepté dans les bureaux de vote. Une donne importante. Avec prés de 29% de Nigérians connectés à Internet et 70 millions de détenteurs de portables -soit près de la moitié de la population- les nouvelles technologies de l’information et de la communication devraient influer sur le déroulement des scrutins.
« Plus il y a de plates-formes à la portée des électeurs, mieux c’est : cela permet d’améliorer la connaissance, mais la question, c’est quelle connaissance ? » tempère Julius Mucunguzi, un observateur du Commonwealth. « Les technologies ne sont pas la panacée et tout dépend à quelles fins elles seront utilisées ». La Commission électorale a d’ailleurs déjà mis en garde : pas question d’annoncer des résultats avant les autorités au risque de semer la confusion et de déclencher des violences.