Avec notre envoyée spéciale à La Haye
La Défense mettait ces jours-ci la dernière touche à sa plaidoirie finale. Objectif : contredire le Procureur qui accuse Taylor d'avoir soutenu, financé, armé les rebelles sierra-léonais du RUF et couverts leurs crimes pour faire main basse sur les diamants sierra-léonais.
Selon ses avocats, Charles Taylor a au contraire usé de son influence pour tenter de pacifier la région et l'ex-président libérien serait un bouc émissaire, victime d'un procès politique et des puissances occidentales.
La Défense brandira d'ailleurs certainement deux télégrammes diplomatiques américains révélés par le site WikiLeaks et versés au dernier moment au dossier. C'est ce que pense John Toussaint Richardson, président de l'association pour la Défense de Taylor à Monrovia...
« Les télégrammes de WikiLeaks devraient jouer un rôle important. Surtout ceux de l’ambassade américaine au Liberia. Ils évoquent la popularité de monsieur Taylor et l’inquiétude des Américains de le voir déclarer innocent.
Ils expliquent qu’il faut commencer à réfléchir à des excuses pour l’arrêter à nouveau, si jamais il était libéré, pour l’amener en Amérique éventuellement et l’accuser de terrorisme, par exemple.
Tout cela nous montre qu’il y a eu complot pour chasser monsieur Taylor du pouvoir et créer de fausses accusations contre lui. C’est une manœuvre politique de certaines puissances occidentales. Et ça n’a rien à voir avec la justice ou les droits de l’Homme ».
C’est donc avec un mois de retard que commence la plaidoirie de la défense. Il y a un mois, les avocats de Charles Taylor avaient boycotté le réquisitoire du Procureur et refusé de plaider dans la foulée. Ils protestaient car les juges avaient refusé de lire le volumineux rapport qui résumait les arguments de la Défense, au motif que le document leur était parvenu avec retard.
Un procès qui a déjà duré 3 ans et demi
Depuis, ils ont obtenu en appel que les juges soient contraints de lire ces centaines de pages d'argumentaire avant leur plaidoirie orale. L'affaire est donc a priori réglée.
Mais elle aura provoqué un nouveau retard d'un mois pour un procès qui a déjà duré 3 ans et demi. A titre indicatif : selon son dernier rapport annuel, la Cour dépense près d'un million de dollars par mois pour son fonctionnement en ce moment. Malgré tout, Elise Keppler de l'ONG Human Rights Watch, qui suit le procès, se veut compréhensive :
« Le procès de Milosevic avait duré plus de quatre ans, sans même parvenir au réquisitoire. Ces procès sont terriblement complexes.
Dans le cas Taylor, il n’est pas accusé d’avoir appuyé sur la gâchette, mais d’avoir été au sommet de la chaîne de commandement, d’avoir donné des ordres. Et ça c’est très compliqué à prouver.
Globalement, ce procès a bien progressé. Et s’il y a eu un retard important, au début par exemple, quand les avocats de Charles Taylor ont été changés, ça a permis de mettre en place une équipe très sérieuse.
La justice internationale n’est pas parfaite. Son efficacité peut être améliorée, mais il faut se rappeler que l’alternative c’est l’impunité ».
La fin du procès est maintenant proche. La défense prononce sa plaidoirie finale ce mercredi et demain. Et vendredi les juges se retireront pour décider du sort de Charles Taylor. Un jugement très attendu dans la sous-région, notamment par les victimes de la guerre civile en Sierra Leone. C’est le cas de Lamin Jusu Jarka, qui a eu ses deux mains amputées par les rebelles du RUF pendant l'invasion de Freetown en 1999.
« J'ai perdu mes deux mains pendant l'invasion de Freetown en 1999. Les rebelles du RUF sont rentrés chez moi. Ils ont amputé mes deux mains. Quand il a pris le pouvoir au Liberia, Charles Taylor a dit publiquement que nous, les Sierra-Leonais, nous hébergions les forces de l'Ecomog, qui étaient contre lui, et que par conséquent nous allions goûter à l'amertume de la guerre. Et il a tenu parole, ça s'est produit. Il a alimenté la guerre ici.
Et nous les victimes, nous voulons qu'il goûte maintenant à l'amertume de la loi. Il doit répondre de ce qu'il a fait au peuple de Sierra Leone en alimentant la guerre pour avoir accès à nos diamants et nos richesses. La loi doit faire son chemin, pour mettre fin à l'impunité.
On a hâte de voir le jugement. Ca a pris longtemps, mais c'était pour lui donner du temps, et être sûr qu'en cas de condamnation, il ne viendra pas plus tard dire qu'il a manqué de temps, ou qu'il n'a pas pu inviter untel ou untel pour témoigner. »
Le jugement est attendu au milieu de l'année 2011
Au Liberia, aussi bien sûr, on attend le verdict avec impatience. Il y a huit ans, quand Charles Taylor a dû quitter Monrovia, chassé du pouvoir, il a eu ces mots : « Si Dieu le veut, je reviendrai. » Aujourd'hui les Libériens attendent de voir ce qui va ressortir de ce procès, non sans inquiétude, d'après Mohamed Kpokomou, professeur d'université à Monrovia, et membre du Mouvement de la Société civile...
« Chaque semaine il y a des articles sur ce qui se passe à La Haye. Le procès est très suivi au Liberia. Surtout parce que les gens sont très anxieux de savoir, et comment est-ce que ça va se terminer, ce procès.
Les opinions sont très partagées. Charles Taylor a beaucoup de loyalistes. Les loyalistes souhaitent qu’il soit libéré et qu’un jour il retourne au Liberia. Ca c’est surtout dans le camp qu’il a dirigé pendant plus de dix ans et qui a bénéficié de cette guerre.
Mais la plupart des Libériens souhaiteraient que monsieur Charles Taylor reste très loin des frontières du territoire libérien, parce que tout le monde cherche maintenant à construire son avenir, surtout après cette période relative de paix, depuis l’élection de madame Ellen Johnson Sirleaf à la tête du Liberia ».
Les juges ayant annoncé qu'il leur faudrait 4 à 6 mois pour examiner les 50 000 pages de retranscriptions écrites des audiences et décider du sort de Charles Taylor, le jugement est attendu au milieu de l'année 2011.