La réunion des chefs d’Etat et de gouvernements de l’Otan se tient environ une fois tous les deux ans. Il y a donc des mois et des mois que l’organisation planche sur les objectifs à atteindre. Mais ces derniers temps, l’agenda s’est trouvé modifié, face à l’escalade de la violence en Ukraine. Des divergences sur la place à accorder à l’Ukraine sont apparues au grand jour. Le défi de ce sommet sera déjà d’afficher une position commune, de gommer les divergences entre les 28, comme nous l’explique Camille Grand, président de la Fondation pour la recherche stratégique.
« Le vrai test pour l’Otan, dit-il, c’est de montrer qu’il y a une très forte solidarité et une communauté de vue entre les alliés, sur la crise ukrainienne, c’est le message à adresser aux Ukrainiens et aux Russes. En même temps, la réalité, c’est qu’il y a de grandes nuances au sein de l’Alliance. Il y a ceux pour qui la crise ukrainienne n’est pas la priorité des priorités, c’est le cas de l’Espagne, de l’Italie. Alors que pour la Pologne ou la Lituanie par exemple, c’est une préoccupation dominante, de leur engagement dans l’Otan ».
De fait, le sommet se penchera sur la « qualification » des relations Otan-Russie. Quelle place le communiqué final accordera-t-il à l’acte fondateur de cette relation ? L’accord Otan-Russie conclu en 1997 sera-t-il seulement mentionné dans la déclaration des Vingt-huit ? La Pologne ne le souhaite pas, d’autres, comme l’Allemagne, la France estiment qu’il faut laisser ouverte la possibilité d’y revenir, lorsque les conditions le permettront.
L’Ukraine ne doit pas occulter le reste
Les préparatifs du sommet ont par ailleurs pointé la nécessité de renforcer la réactivité du dispositif de l’Otan, et ce en toutes circonstances. Car pour les Etats proches du flan Sud de l’Otan, notamment l’Espagne ou l’Italie, la menace est aussi et surtout l’émergence d’un nouveau groupe jihadiste en Irak, qui se présente comme « l’Etat islamique », en Irak et en Syrie, et le chaos dans lequel est retombée la Libye, à proximité d’autres groupes jihadistes, infestant la bande sahélo-saharienne.
Spécialiste de l’Alliance atlantique, Olivier Kempf (auteur de « L’Otan au 21ème siècle, la transformation d’un héritage ») relativise la place que doit occuper l’Ukraine. Il déclare qu' « il va falloir prendre des décisions qui soient adaptées à la crise ukrainienne mais sans que le sommet n’apparaisse comme obnubilé par la question russe. Parmi les décisions, dit-il, vous aurez ce qu’on appelle ‘le plan d’action rapide’ qui consiste à pouvoir répondre justement à toutes les crises qui surviennent et donc à répondre aussi bien à des menaces de grande ampleur type article 5, défense collective, donc un gros conflit. Mais aussi à des petits modèles expéditionnaires pour aller faire des opérations un peu brèves comme en Libye. Et puis être prêt à réagir à l’imprévu ».
Dotée jusque là d’une force d’action rapide de quelque 5 000 hommes mobilisables en une semaine, l’Alliance vise donc à mettre sur pied un dispositif capable de se rendre opérationnel dans des délais plus courts, de 72 heures environ. Pour commencer, l’état-major de Stettin en Pologne, serait renforcé. Il s’agit déjà d’un commandement multinational, avec des Danois et des Allemands. Il serait rapidement renforcé, notamment par un rapprochement avec les états-majors français et l’Eurocorps.
Quant à l’article 5 mentionné par Olivier Kempf, il stipule que l’Otan peut décider d’une action militaire à partir du moment où l’un de ses membres est attaqué. Or, l’Ukraine n’est pas membre de l’Organisation. Elle en a fait la demande, mais en dépit des déclarations médiatiques, il y a peu de voix dans l’Alliance pour défendre son adhésion. Car à ce moment là, l’article 5 serait forcément invoqué, et ce pourrait être le prélude à un conflit majeur avec la Russie. Néanmoins, le sommet s’appliquera à fournir des réassurances aux Pays Baltes et à la Pologne qui, eux, sont membres de l’Alliance.
Rééquilibrage des dépenses
En tout cas, à l’aune de la crise russo-ukrainienne, il n’y a plus grand monde aujourd’hui pour mettre en question la raison d’être de l’Alliance atlantique, comme le souligne Olivier Kempf. En revanche, les Vingt-huit devraient réaffirmer leurs engagements financiers en matière de défense. Le sommet servira notamment à poser la question de la répartition de l’effort au sein de l’Alliance. Le but des Américains, mais aussi des Français, est d’obtenir un rééquilibrage des dépenses, voici en tout cas comment les Français voient l’organisation et ce qu’ils peuvent en attendre, selon Olivier Kempf.
« C’est un cadre excellent d’interopérabilité, on y a une vraie influence, explique-t-il. Evitons surtout que les autres Européens ne se laissent aller à leur penchant de passager clandestin, qui est de dire puisque je fais partie de l’Otan, je ne fais pas d’effort de défense et je me repose sur les Américains. De ce point de vue là, les Français sont proches des Anglais, et des Américains sur la question du partage du fardeau : faites des efforts de défense parce que nous avons des responsabilités. Que ça soit dans l’Otan et si c’est par l’Otan qu’il faut vous le dire, on vous le dit par l’Otan. Je pense que c’est ça l’ambition française dans le cadre de l’Otan ».
Pour la première fois en 65 ans d’existence, les chefs d’Etat et de gouvernements devraient reprendre à leur compte l’objectif fixé par l’Otan, de consacrer 2 % de leur produit intérieur brut aux dépenses de défense. La France y est presque, à hauteur de 1,80 %, mais la plupart des autres pays en sont loin, et la crise économique ne va pas faciliter les choses.