RFI : Quelle est la position de la France sur l'Ukraine?
Laurent Fabius : Ca n’est pas un coup d’Etat, je n’ai pas vu d’intervention militaire. Les caractéristiques d’un coup d’Etat ne sont pas rassemblées. En revanche, la position de la France est de dire : dialogue et refus de la répression. C’est clair, c’est net. Le président Ianoukovitch a pris position comme on sait ; moi, j’étais avec les dirigeants européens et lui-même, à Vilnius, il y a quelques jours. On a vu sa position sur l’accord d’association avec l’Union européenne. Il a dit « bon moi ça m’intéresse mais vous ne payez pas assez ».
L’accord d’association n’est pas une affaire de marchand de tapis, si on veut s’associer avec l’Europe, on s’associe avec l’Europe. La population a réagi de manière extrêmement forte et en même temps pacifique et donc nous disons, nous la France : appel au dialogue et refus de la répression.
Est-ce que c’est vraiment à Kiev que se décide aujourd’hui l’accord d’association avec l’Union européenne ?
Le Premier ministre ukrainien a, si je puis dire, manger le morceau puisqu’il a dit : « Le président russe nous a proposé des choses, le prix du gaz, la remise des dettes, etc. ». Nous, ca n’est pas notre conception des choses, l’Ukraine doit être libre de ses choix et d’ailleurs il n’y a pas d’antagonisme, il n’y a pas d’opposition entre le fait d’avoir un accord d’association avec l’Union européenne et le fait d’être proche de la Russie, il n’y a pas de contradiction.
C’est donc à la population et aux autorités de faire leur choix. Je le répète, la décision qui est prise est extrêmement choquante et, pour ma part, j’ai fait dire à monsieur Klitschko, l’un des leaders de l’opposition, que j’étais tout à fait prêt à le recevoir à Paris.
Dans quel but ?
Et bien pour discuter de la situation, pour parler. L’autre jour, nous avons parlé avec monsieur Ianoukovitch, il me paraît normal de parler aussi avec les responsables de l’opposition.
Voyez-vous en Vitali Klitschko un futur leader de l’Ukraine ?
C’est déjà l’un des leaders. Ce qui se passera dans le futur, ce n’est pas à moi d’en décider, bien sûr, mais c’est vrai que c’est un homme qui est singulier. Vous savez qu’il a été champion du monde de poids lourds en boxe – ça c’est déjà singulier – mais c’est surtout que c’est un homme qui a bâti sa fortune avec ses poings et il est réputé être incorruptible, ce qui est, paraît-il, là-bas, assez spécifique. En plus, c’est un homme qui croit à la démocratie.
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Encore une fois, ce n’est pas à nous de nous ingérer dans les affaires intérieures. Mais puisque nous avons rencontré monsieur Ianoukovitch, le président Hollande l’a rencontré encore l’autre jour, il me paraît normal aussi de rencontrer monsieur Klitshcko puisque madame Timochenko, elle, est en prison.
Alors que va se tenir en fin de semaine le sommet de l’Elysée pour la paix et la sécurité en Afrique, la France s’apprête à lancer une nouvelle intervention. Elle va intervenir en Centrafrique plus précisément. Est-ce que vous pouvez nous dire quand l’opération va commencer ? Est-ce qu’on a un calendrier ?
Ce sommet de l’Elysée est promis à un grand succès puisque nous avons déjà plus de 35 chefs d’Etat et de gouvernements qui vont venir à Paris à l’invitation du président français avec trois thèmes : le thème du développement économique, le thème du climat et le thème de la sécurité. Parmi les aspects évoqués, il y aura bien évidemment la République centrafricaine.
Dans les jours qui viennent, une résolution proposée par la France va être examinée et votée aux Nations unies. Il faut bien comprendre - parce que parfois je lis des choses qui sont un peu inexactes - que ce n’est pas du tout la même opération qu’au Mali. L’objectif que nous poursuivons c’est, aux côtés des forces africaines qui sont donc prioritaires, si je puis dire, d’assurer la sécurisation et la reconstruction de la République Centrafricaine.
Nous aurons une action en matière humanitaire, une action en matière sécuritaire, en matière démocratique - pour que ce pays se dote d’un gouvernement démocratique - et puis une action en matière de développement. Nous serons aux côtés des Africains, ce qu’on appelle la Misca, et nous souhaitons agir en liaison et avec le partenariat des Européens.
Reconstruire la Centrafrique est-ce que ça veut dire que la France va notamment contraindre Michel Djotodia, le chef de la coalition rebelle Seleka, à partir ?
Non, le président est là, même si c’est un président, si je puis dire, de fait, qui n’a pas été reconnu par ses voisins. Mais il y a un tandem entre monsieur Djotodia et le Premier ministre, Monsieur Tiangaye. A Paris, ce sera le Premier ministre qui sera présent. De toutes les manières, ces autorités sont transitoires.
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Les Etats-Unis ont dit qu’il devait y avoir de nouvelles élections, au plus tard en février 2015. Notre action, celle des Africains d’abord, la Misca, la nôtre, celle des forces internationales, va consister à la fois à rétablir la sécurité gravement menacée, à rétablir aussi les droits humanitaires parce qu’il y a des exactions épouvantables. On va encore en découvrir. Et puis il faut préparer la démocratie, le fonctionnement de la démocratie et dans ce cas, de toutes les manières, ni le président actuel, ni le Premier ministre, ne peuvent se présenter, ça a été acté.
Il y aujourd’hui un risque véritable, vous avez parler « d’implosion », de graves dérapages sur le plan des conflits inter-religieux ?
Le terme d’implosion est juste, certains ont dit c’est un non-Etat. Vous avez la fameuse Seleka, composée pour beaucoup de bandes armées qu’il faut effectivement dissoudre – elle a été dissoute sur le papier mais pas en réalité – il y a les populations à rassurer, non seulement à Bangui mais dans l’ensemble du pays, et puis il y a à éviter ces oppositions religieuses.
La tradition de la Centrafrique n’est pas du tout une tradition d’opposition religieuse, vous avez des musulmans, vous avez des catholiques, vous avez des protestants. Mais dans les derniers temps, il y a eu ici ou là des affrontements religieux qui sont extrêmement dangereux. Les chefs religieux luttent contre cela. J’ai rencontré, puisque j’étais là-bas il y a quelques semaines, à la fois le chef des catholiques, des musulmans, des protestants et il faut donc rétablir la sécurisation et la reconstruction du pays.
Est-ce que la France, avec cette intervention, ne va pas atteindre vraiment la limite de ses capacités de projection ?
Non. D’abord parce que nos forces resteront mesurées dans leur nombre, et en plus elles n’ont pas vocation à rester durablement là-bas. Aussi, nous allons nous délester dans d’autres parties du monde et puis, comme vous le savez, ça n’est pas suffisamment souligné, mais la France continue d’avoir la première armée d’Europe avec des forces de projection qui sont bien utiles.
Au sommet de l’Elysée, nous allons parler plus généralement de la sécurité en Afrique. Les Africains veulent, et ils ont raison, pouvoir se doter d’une force africaine de réaction rapide, nous allons parler de cela. Et nous allons parler spécifiquement, le samedi, de la République centrafricaine puisque Ban Ki-moon, le secrétaire général des Nations unies sera là ainsi que d’autres dirigeants. Il y aura donc un aspect qui sera consacré à la République centrafricaine.
Il y a une question, presque philosophique au fond, qui va être posée au sommet c’est « est-ce que c’est le développement qui permet la sécurité où la sécurité qui permet le développement » ? Alors lequel et dans quel ordre ?
Les deux. Et il faut mener les deux ensembles. Il faut à la fois établir ou rétablir la sécurité, sans quoi rien n’est possible. Mais en même temps, très souvent, les exactions qui ont lieu trouvent leur terreau dans la pauvreté. Donc, il faut à la fois avoir une action en matière de sécurité et une action en matière de développement.
En Syrie, il y a eu 50 morts au cours du dernier week-end. Comment peut-on éviter que, pendant qu’on s’occupe des armes chimiques, la population civile continue de mourir sous les armes conventionnelles ?
C’est une question que j’avais soulevée au moment où on avait obtenu la bonne décision de supprimer les armes chimiques : celles-ci sont un grand danger, c’est une très bonne chose de les supprimer mais la population continue d’être massacrée et il y a des carnages tous les jours. La seule solution est d’ordre politique, c’est le sommet Genève II, que nous préparons dans des conditions - il faut le reconnaître - difficiles.
En vue du sommet « Paix et Sécurité en Afrique », qui se tiendra les 6 et 7 décembre à Paris en présence de nombreux chefs d'Etat africains, la présidence française a d'ores et déjà mis en place un site internet et un compte Twitter consacrés à l'évènement.