Avec notre envoyée spéciale à Kiev, Anastasia Becchio
L’opposition espérait mobiliser une partie des députés du Parti des régions, majoritaire, mais celui-ci n’a pas participé au vote. L’opposition n’est pas parvenue à renverser les équilibres au sein du Parlement. 186 députés ont soutenu le texte proposé par trois groupes de l'opposition, alors qu'une majorité de 226 voix était requise.
La portée de la motion de défiance déposée au Parlement ukrainien était avant tout symbolique. L’opposition ne possède en effet pas la majorité au Parlement, et comptait sur le ralliement de certains députés du Parti des régions qui domine largement l’Assemblée. Mais les défections n’ont pas suffi pour que la motion de défiance soit adoptée. Dans les couloirs du Parlement, juste avant le vote, les députés du Parti des régions affichaient leur confiance. Pour eux, le texte ne passerait pas.
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Dans l’hémicycle, la séance de ce matin a été très animée. Les chefs de tous les partis ont défilé à la tribune dans une ambiance houleuse. L’opposition a planté des drapeaux ukrainiens et européens sur ses pupitres et elle a réclamé que le Premier ministre Mikola Azarov vienne s’exprimer devant le Parlement. Une requête soutenue par la majorité.
Excuses du Premier ministre pour la répression
« Au nom du gouvernement, je voudrais vous demander pardon pour les agissements des forces de l'ordre. Le président et le gouvernement le regrettent profondément », a déclaré M. Azarov, au milieu du brouhaha, évoquant la violente répression policière exercée samedi à Kiev contre les manifestants pro-européens.
Mikola Azarov s’est dit ouvert aux critiques et prêt au dialogue avec les représentants des contestataires et les partis d'opposition, mais à une condition : que les manifestants mettent fin à l’occupation du siège du gouvernement et d’autres bâtiments officiels, tels que la mairie de la capitale.
Le chef du gouvernement a ensuite lancé une mise en garde : « J'appelle tous ceux qui ont pris ces décisions illégales de bloquer le gouvernement à arrêter. Vous violez ainsi le Code pénal et vous en serez tenus pour responsables », a-t-il martelé en russe.
Des manifestants déterminés à ne rien lâcher
Les propos du Premier ministre ne seront sûrement pas de nature à calmer les ardeurs de la rue. Les opposants au régime continuent à bloquer les bâtiments du siège du gouvernement, empêchant les fonctionnaires d’y pénétrer. Mikola Azarov, qui doit présider mercredi matin un Conseil des ministres, a mis en garde contre les conséquences catastrophiques que pourrait avoir un blocus qui se prolongerait, prévenant que les salaires et les pensions pourraient ne plus être payés.
Des menaces qui n'atteignent pas les milliers de personnes réunies ce mardi soir encore sur la place de l'Indépendance, dont les accès sont bloqués par des véhicules et des barricades de fortune. Des centaines d'entre elles passeront une nouvelle nuit ici, déterminées à ne rien lâcher tant que le gouvernement et le président n'auront pas démissionné.
Passes d'armes diplomatiques
La situation en Ukraine a fait réagir bien au-delà des frontières. Le président russe, Vladimir Poutine, dénonçait hier des manifestations « préparées de l'extérieur » qui, à ses yeux, relèvent davantage « du pogrom que d'une révolution ».
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Un point de vue aux antipodes de la position américaine, la Maison Blanche ayant - au contraire - dénoncé la répression qui s’est abattue sur ce qu’elle considère comme des « manifestations pacifiques ».
Invité ce mardi matin sur RFI, Laurent Fabius, ministre français des Affaires étrangères, a pour sa part estimé que l’Ukraine n’était pas en situation de coup d’Etat. « Ce n’est pas un coup d’Etat. Je n’ai pas vu d’intervention militaire. Les caractéristiques d’un coup d’Etat ne sont pas rassemblées. En revanche, la position de la France est de dire : dialogue et refus de la répression. C’est clair, c’est net », a-t-il déclaré, s’attaquant au passage au refus de Viktor Ianoukovitch, le président ukrainien, de signer un accord de libre-échange avec l’Union européenne. « L’accord d’association, ce n’est pas une affaire de marchand de tapis », a tonné le ministre français.
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Malgré la crise que traverse le pays, le président ukrainien, Viktor Ianoukovitch, a maintenu une visite officielle en Chine. Il s’est envolé pour Pékin, ce mardi 3 décembre, pour un voyage de quatre jours.
■ ANALYSE
L’opposition ukrainienne tente de présenter un front uni
Florent Parmentier est professeur à Sciences Po (l'Institut d'études politiques de Paris). Il tente de voir qui sont les opposants politiques au pouvoir en place et qu'est-ce qui les unit.
« L’opposition ukrainienne aujourd’hui a vécu un moment important avec le sommet de Vilnius parce que jusqu’à présent elle était assez peu unie, explique Florent Parmentier. Là elle a trouvé un point de cristallisation qui lui a permis de surmonter un certain nombre de différences sachant que c’est une opposition qui reste encore composite malgré son opposition actuelle au pouvoir en place. »
L’unité des trois chefs de file de la contestation est une question de survie. « Il y a trois personnalités qui se dégagent - celle de Vitali Klitschko, l’ancien champion de boxe, celle d’Arseni Iatseniouk et celle d’Oleh Tiahnibok mais elles ont des partis différents, des bases sociales différentes et surtout des programmes différents, et on peut se demander ce qui unit les trois au-delà de l’opposition aux autorités en place et la décision prise par le gouvernement de ne pas signer l’accord avec l’Union européenne ». Les trois hommes semblent n’être unis que présenter un front plus uni à l’horizon des élections de 2015, estime Florent Parmentier.
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