Le vote de ce 27 septembre est une victoire pour les Nations unies et la diplomatie internationale. Et l’autocongratulation entre puissances occidentales n’a pas manqué à New York, lieu qui a, entre autres, le mérite de provoquer des rencontres entre des opinions divergentes, voire ennemies. Ainsi, la Syrie ne sera ni l’Irak ni la Libye, c’est un choix de la communauté internationale.
L’adoption de la résolution 2118, qui fait suite à l'accord conclu à Genève mi-septembre, après d’âpres négociations russo-américaines, est un succès indéniable. C’est en effet la première résolution adoptée par le Conseil de sécurité depuis le début du conflit en mars 2011. Jusqu’alors, la Russie et la Chine, soutiens indéfectibles du régime de Damas, avaient opposé par trois fois leur veto à tout texte contraignant pour la Syrie.
Le Conseil de sécurité vient ainsi de « décréter que l'utilisation d'armes chimiques où que ce soit représente une menace pour la paix et la sécurité internationales » et a « condamné de la manière la plus ferme toute utilisation d'armes chimiques en Syrie, en particulier l'attaque du 21 août 2013, commise en violation des lois internationales ».
La résolution 2118, qui encadre un plan américano-russe de démantèlement de l'arsenal syrien, contraint le régime de Bachar el-Assad à détruire la totalité de ses armes chimiques d’ici mai 2014. Mais la mission est quasi-impossible dans la mesure où le pays est à feu et à sang et qu’il apparaît peu plausible qu’un démantèlement total puisse être effectué dans ce délai. D’autant que l’arsenal chimique syrien, qui existe depuis presque un demi-siècle, est considéré comme l’un des plus importants au Proche-Orient –environ mille tonnes.
Une victoire pour Moscou, Téhéran… et Damas
Le texte de la résolution n’évoque pas le chapitre VII - autorisant le recours à la force de la part d’un Etat membre en cas de non-respect de la résolution de l’ONU-, mais prévoit la possibilité de sanctions en cas de reculade de Damas. Toutefois, avant d’être appliquées, ces dernières nécessiteront une deuxième résolution votée par le Conseil de sécurité. Le veto de la Russie pourra donc être utilisé comme il le fut jusqu’au vote de ce 27 septembre. En ce sens, la résolution 2118 est un succès pour Moscou –et dans une moindre mesure pour Téhéran et Pékin. Et un camouflet pour Washington et Paris.
Elle éloigne bel et bien la menace de frappes punitives, position défendue ardemment par la France, tant redoutées par Bachar el-Assad et ses alliés. À peine 48 heures avant le vote, l’ambassadeur d’Iran en France Ali Ahani le répétait : « Notre pays est contre les frappes. Si elles se produisaient, il pourrait y avoir des conséquences imprévues et incontrôlables qui toucheraient toute la région. Regardez comment ça s’est passé en Libye ! ».
Le régime de Damas peut donc poursuivre ses exactions à sa guise. Notons au passage que cette résolution se garde bien de mentionner les responsables du massacre de la Ghouta. Massacre qui restera donc impuni.
Le 28 septembre, au lendemain du vote, Human Rights Watch (HRW) a réitéré sa demande de saisir la Cour pénale internationale et d'adopter des sanctions ciblées. C’était un souhait contenu dans le plan de la diplomatie française. La saisine de la CPI sera cependant toujours possible, même si le sujet est des plus complexes. Dans ce cas, cela ne pourra se faire qu'après le règlement du conflit. Et la Cour devra également enquêter sur les crimes commis par la rébellion.
Le communiqué de HRW, qui dénonce aussi l'usage de mines antipersonnel, d'armes incendiaires et d'armes à sous-munitions, explique que « les efforts pour détruire l'arsenal chimique syrien sont essentiels, mais ne règlent pas le problème des armes conventionnelles qui ont causé la mort de l'immense majorité des personnes tuées dans le conflit ».
Ainsi, parce que le régime de Damas dit accepter que des experts de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC) détruisent son arsenal d’armes chimiques –incroyable volte-face du régime qui niait il y a encore quelques semaines détenir de telles armes- le dictateur syrien a retrouvé de sa superbe sur la scène internationale. Un retour sur scène malgré lui.
L’Occident, qui voulait tant « punir » ce paria d’Assad devenu totalement « illégitime », se retrouve en quelque sorte, malgré son autosatisfaction affichée, loin d’être le vainqueur de ce vote onusien face à Damas et à Moscou. « Ce soir, a commenté le secrétaire général de l'ONU, Ban Ki-moon à la suite du vote, la communauté internationale a rempli sa mission. C'est le premier signe d'espoir en Syrie depuis longtemps ».
Une défaite pour le peuple syrien
Un espoir de paix dont la clé est désormais entre les mains des « amis » d’Assad. Moscou endosse aujourd’hui les nombreuses responsabilités dont celle d’aboutir à une solution politique : entre autres, celle de contraindre Damas à respecter cette résolution. Sur le papier en tout cas. La recherche d’un cessez-le-feu est donc plus que jamais à l’ordre du jour. En plus, l’annonce récente de la majeure partie des groupes rebelles syriens de se rallier aux islamistes les plus fanatiques représente pour Bachar el-Assad une jubilation supplémentaire.
En conséquence, la marginalisation croissante de l’Armée syrienne libre et de la Coalition nationale syrienne (CNS) est également un autre motif de réjouissance pour le régime de Damas. Comment dès lors Américains et Français oseront livrer des armes à ce qui restera de la partie la plus modérée de la rébellion syrienne ?
Que l’on ait été pour ou contre une intervention militaire éclair franco-américaine ciblée
sur les forces de Bachar el-Assad, il faut reconnaitre que la résolution 2118 est une défaite pour l’énorme partie du peuple syrien qui ne veut plus souffrir sous le joug du clan Assad. Il n’est pas dupe : son président est habile et ce vote va lui permettre de gagner du temps, de renforcer son arsenal militaire, de stigmatiser la rébellion armée aux yeux de la communauté internationale. Et de poursuivre le massacre de ses opposants, de tout individu qui ne le soutiendrait pas, et cela quelle que soit sa confession.
L’amertume de plusieurs membres de la CNS est ainsi palpable : « La résolution du Conseil de sécurité est très décevante. Elle sert les intérêts de la plupart des puissances régionales et internationales, y compris le régime syrien. Mais elle ne sert en aucune façon le peuple ou la révolution », a regretté Samir Nachar, un opposant historique au régime des Assad.
Parallèlement au vote de la résolution 2118 de l’ONU, il a été décidé à New York qu’une conférence de paix devrait se tenir à la mi-novembre. « Genève II » aurait pour objectif de parvenir à un accord entre pouvoir et rébellion sur une transition politique. Ahmad Jarba, le président de la CNS, a affirmé que son groupe souhaitait y participer. « Il s’agit d’une transition vers la démocratie, cela ne doit pas être un dialogue sans fin avec le régime. »… Un vœu pieux tant les désaccords au sein de l’opposition sont nombreux et tant la situation est dramatique sur le terrain.
Ainsi, ce qui est désormais considéré comme la plus importante catastrophe humanitaire du début de notre siècle est loin d’être terminée. Et la résolution 2118 ne contient d’ailleurs pas un mot sur l’accès des humanitaires aux victimes, sur l’aide à fournir aux millions de déplacés et réfugiés, à l’intérieur comme à l’extérieur de la Syrie.