Les étapes de l'exposition de La Force noire tiennent quelquefois de la prouesse. Celle de Bangui en République centrafricaine est mémorable dans sa briéveté et son intensité.
Quelques heures à peine après leur arrivée en pleine nuit dans la capitale centrafricaine, le lieutenant-colonel Antoine Champeaux et Eric Deroo, animateurs de la tournée africaine, se retrouvaient face aux élèves du lycée français Charles-de-Gaulle pour une projection débat du documentaire consacré à la Force noire, aussitôt suivie par une seconde prestation à l'École nationale d'administration (ENAM). Une fois de plus le feu des questions diffèrent selon les âges : informatives de la part des adolescents, acérées fusant des plus âgés, venus cependant en petit nombre à l'ENAM.
La rencontre avec les anciens combattants de l'armée française a eu lieu au siège de l'Alliance française en fin d'après-midi. Rencontre toujours émouvante pour Eric Deroo et Antoine Champeaux car y affleurent des questions récurrentes. Les tirailleurs survivants de l'Oubangui-Chari ont en commun avec certains de leurs frères d'armes du Congo ou du Cameroun l'impossibilité d'obtenir une carte d'ancien combattant pour la participation à des expéditions de maintien de l'ordre. Les opérations de Madagascar, du Cameroun ou sur la Côte des Somalis ne sont pas enregistrées comme des guerres. Or, une bonne partie des survivants engagés de l'Oubangui-Chari ont participé à ces opérations extérieures et non à des guerres reconnues. Le dilemne est immense car il soulève les questions sur la moralité de la participation d'Africains à des actes de répression contre d'autres Africains avec en prime, une interrogation philosophique : à qui ou à quoi obéit-on lorsqu'on est soldat ?
Il existe un exemple pour illustrer cette problématique et la difficulté de raconter des Anciens : le président nigérien Ali Seibou, ancien de l'EFORTOM, et ancien soldat des troupes coloniales françaises. Sa biographie officielle fait mention d'un séjour de trois mois au Cameroun, au cours desquels il aurait été blessé avant d'être renvoyé au pays. Aucun détail n'apparaît sur son activité dans le pays troublé par les rébellions et il faudra attendre le délai légal (120 ans après la naissance de l'intéressé) pour que les chercheurs accèdent à ses états de service.
La journée du lundi 8 novembre fut consacrée à une nouvelle projection débat, organisée à la faculté des Sciences humaines de l'université de Bangui en présence de deux enseignants Jean Kokidé, président du département histoire et vice-doyen de la faculté, et Bernard Simiti. Tous deux sont considérés comme les meilleurs spécialistes de l'histoire des tirailleurs de l'Oubangui-Chari. Le débat fut «très soutenu comme à l'accoutumée», selon Eric Deroo, très ému encore de la formidable volonté des uns et des autres pour assurer la réussite des interventions. Bangui-la-Coquette connaissant des délestages d'électricité quasi-permanents, une projection de film ne peut s'effectuer qu'avec l'aide d'un groupe électrogène.