Madagascar : apprendre ou réviser l'histoire des tirailleurs

Eric Deroo, réalisateur, auteur et chercheur associé au CNRS et le lieutenant-colonel Antoine Champeaux, historien, consultants et associés de RFI dans le dossier consacré aux tirailleurs coloniaux, effectuent une tournée de promotion de l'exposition et du film La Force noire auprès du public africain. Après le Niger, le Burkina Faso et le Tchad, ils se sont arrêtés à Madagascar du 20 au 28 juin 2010.

Comme les fois précédentes, la tournée de promotion a commencé le 21 juin au soir par le vernissage de l’exposition pédagogique consacrée à l’histoire de la force noire et la projection des films La Force noire et Tirailleurs malgaches à Menton devant une centaine de personnalités civiles et militaires franco-malgaches. Installée au Cercle franco-malgache jusqu’au 11 juillet, elle sera ensuite présente dans les différentes régions de l’île et dans les locaux du département d’histoire de l’université de Antananarivo.

Le 23 juin , c’est devant 300 élèves de l’École nationale d’administration que le film La Force noire a été projeté. Là, le lieutenant-colonel Antoine Champeaux et Eric Deroo ont dû répondre à de nombreuses questions très pointues. Et parfois même virulentes au sujet des exactions commises par les troupes coloniales. «Comme il s’agissait d’un voyage semi-officiel, ils m’ont pris moi-même pour un représentant de la France. Ils ont exigé que je demande pardon. Mais en tant qu’historien, mon rôle n’est pas de demander pardon au nom de la France, il est de donner les clés pour mieux comprendre une situation», explique Eric Deroo.

La tournée s’est poursuivie à la faculté d’histoire de Antananrivo puis dans une école primaire de la capitale et au mess des officiers. Partout, elle a suscité un vif intérêt. A l’université, -recherche académique oblige- les questions ont été particulièrement axées sur l’utilisation des sources documentaires. En effet, les étudiants malgaches n’ont accès qu’à des documents de deuxième ou troisième main, généralement peu fiables. « Au fur et à mesure que les Anciens disparaissent, emportant avec eux leurs souvenirs, ils ont conscience de la nécessité de transmettre leur histoire», constate Eric Deroo.

Une histoire douloureuse

L'histoire coloniale de Madagascar est loin d’être un long fleuve tranquille. Conquise en 1896, l’île a connu de nombreuses révoltes réprimées dans le sang, où les tirailleurs africains ont joué un rôle primordial.

En 1947, lorsque la plus grande révolte de l’histoire de l’île a éclaté, plus de 18 000 tirailleurs «sénégalais» ont ainsi été envoyés pour la mater. Elle a fait 89 000 morts. Ils n’étaient pas tous sénégalais mais c’est par ce terme que les tirailleurs africains étaient communément désignés. Venus à Madagascar pour participer à des missions de «pacification», ils y sont restés. Certains ont même obtenu des lopins de terre.

Aujourd’hui encore, cinquante ans après leur indépendance, les Malgaches conservent de cette période un souvenir douloureux, emprunt de méfiance à l’égard des descendants des soldats africains. Même si certains ont réussi à se faire une place dans la société en faisant carrière dans les forces de l’ordre ou dans le petit commerce, beaucoup sont stigmatisés. Il n’est pas rare que lorsque leurs enfants ne sont pas sages, les femmes malgaches les menacent de «faire venir le Sénégalais».

Mais les Malgaches, dont certains ont des traditions guerrières bien établies, se sont aussi engagés dans l’armée coloniale. Ils ont combattu en Indochine, en Algérie et même dans leur propre pays. Profitant des rivalités interethniques, l’État-major français les faisait participer aux opérations de maintien de l’ordre dans les régions différentes de leur territoire d'origine.

Pour les Malgaches, la venue de l’exposition a donc été l’occasion d’en savoir un peu plus sur ce passé douloureux. Un projet de musée sur l’histoire militaire de Madagascar est en cours. Il pourrait être installé dans la villa Gallieni – du nom du gouverneur-général de l’île entre 1896 et 1905 – qui surplombe Antananarivo. Un lieu symbolique pour une histoire encore méconnue.

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