Pollution de l’eau aux pesticides: la nature au travail

A Rampillon, dans la plaine de la Brie, une région proche de Paris qui s’est tournée dans les années 80 vers la culture intensive de céréales et de betteraves, les nombreux pesticides et fertilisants à base d’azote polluent la nappe phréatique qui constitue le réservoir d’eau potable d’un million et demi d’habitants d’Île de France. Les scientifiques de l’IRSTEA – Institut national de recherche en sciences et technologies pour l’environnement et l’agriculture – et du CNRS, y testent un procédé d’ingénierie écologique pour dépolluer l’eau avant qu’elle ne s’infiltre dans le sol.

Le projet a été lancé en 2005, en concertation avec l’association d’usagers de l’eau, Aquibrie, et la dizaine d’agriculteurs qui cultivent sur les 400 hectares du bassin versant, l’objectif étant de chercher ensemble une solution de dépollution. La solution retenue a été la création de zones tampons sous forme de bassins de rétention d’eau - en réalité en recréant des bassins, car la zone humide avait été asséchée dans les années 80 pour permettre l’extension des cultures. Il fallait donc récupérer des zones agricoles pour les transformer en étang, ce qui a pris quelques années de discussion avec les agriculteurs concernés. Néanmoins, en 2012, trois bassins, représentant 0,25% de la surface agricole totale, le plus grand d’un hectare et demi, étaient creusés et le test de dépollution commençait.

Une géomorphologie particulière

Dans toute la région, le sous-sol argileux empêche l’eau de ruissellement de s’infiltrer. Pour éviter les crues et les inondations, les terrains sont intégralement drainés par un réseau de canalisations souterraines – en parallèle, une tous les 12 mètres - dont certaines datent du début du 20ème siècle. Ces canalisations aboutissent à des fossés qui se déversent brutalement dans la nappe phréatique, en bas du bassin versant, par des trous naturels dans le sol.

Les bassins qui ont été creusés dans le cadre de la dépollution sont alimentés en interceptant l’eau de ruissellement à l’entrée dans les fossés, où une dérivation a été installée. Sur ce tuyau de dérivation, une vanne permet d’ouvrir l’entrée du bassin pendant la période de traitements aux pesticides, sur les périodes de novembre à décembre, puis de mars à juin.

Les bactéries, stars de la dépollution

Les bassins sont profonds de 60 à 80cm de façon à ce que certains produits toxiques soient déjà dégradés par l’action du soleil. Les chercheurs n’interviennent pas sur le milieu naturel et laissent prospérer la faune et la flore dans les bassins.

Pour que la dépollution s’effectue au mieux, le séjour minimal de l’eau dans un bassin est estimé à environ une semaine. Ce sont les plantes qui poussent dans le bassin qui ralentissent la circulation de l’eau et fournissent le gîte et le couvert aux bactéries, qui, pendant ce temps, dépolluent.

Pour pouvoir respirer dans un milieu humide, les bactéries prennent l’oxygène présent dans les nitrates, entamant ainsi un processus de dénitrification. Les pesticides sont pour leur part absorbés – l’absorption est un phénomène de surface par lequel des atomes ou des molécules de gaz ou de liquides se fixent sur une surface solide - par les plantes, les algues ou les sédiments.

Quantifier les résultats

Pour savoir si le processus est efficace, Cédric Chaumont et Julien Tournebize, les deux

chercheurs de l’IRSTEA responsables du projet, analysent depuis un an des échantillons d’eau, prélevés quotidiennement en entrée et en sortie de chaque zone humide pendant la période d’épandage.

Ces prélèvements sont effectués automatiquement en fonction du débit, lui-même variable suivant les précipitations, de façon à avoir des quantités moyennes qui reflètent la réalité. Ces échantillons sont ensuite analysés en laboratoire.

L’évaluation au bout d’un an

Sur la première année de fonctionnement, les résultats montrent une amélioration de la qualité de l’eau en sortie de bassin. Sur 100 pesticides analysés – dont 52% d’herbicides, 15% de fongicides, 8% d’insecticides, 25% de métabolites (molécules résultant de la transformation par les pesticides) – la réduction moyenne des concentrations est de 50%.
Concernant les nitrates, la concentration en entrée se situe entre 60 et 70mg/l et en sortie autour de 20mg/l, avec une forte variabilité suivant les saisons.

Pour les chercheurs de l’IRSTEA, même si le temps de stationnement de l’eau dans les bassins ne permet pas une épuration suffisante des pesticides (il faudrait plusieurs semaines pour améliorer la réduction de concentration), ce système de dépollution est efficace.

Pour autant, il ne s’agit pas de délivrer un « permis de polluer » aux agriculteurs. Cette solution ne les exonère pas de réduire en amont la quantité de pesticides utilisés, au moins pour se conformer au plan national EcoPhyto, qui prévoit « si possible » une réduction de 50% de pesticides entre 2008 et 2018.

Au demeurant, il semble nécessaire de réfléchir en amont à une modification des procédés agricoles pour glisser de l’ère de l’agriculture industrielle à celle d’une agriculture raisonnée prenant en compte son impact sur l’environnement.

Pendant les journées portes-ouvertes de l’ingénierie écologiques qui se tiennent les 28 et 29 juin 2014, le CNRS et l’IRSTEA ouvrent au public une vingtaine de sites-ateliers de restauration écologique répartis sur toute la France, dont celui de Rampillon. Les chercheurs seront sur place pour expliquer et discuter avec les visiteurs qu’ils espèrent nombreux.

Pour en savoir plus

-le programme des journées portes ouvertes de l’ingénierie écologique
-www.cnrs.fr
-Le journal du CNRS sur l’ingénierie écologique

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