- Vendredi 31 mai 2013, les îles Féroé
Tara est arrivée hier, jeudi 30 mai, au port de Torshàvn, la capitale des îles Féroé sur la plus grande île de l’archipel, Streymoy. Ces îles sont en fait une province du Danemark, la plus éloignée de Copenhague, la capitale. Elles se situent à peu près à mi-chemin entre le nord de l’Ecosse et l’Islande, dans l’Atlantique nord. Au total, les Féroé comptent 50 000 habitants, et 1,5 mouton par habitant, ce qui donne 75 000 moutons sur l’ensemble de l’archipel.
Les Féroïens, habitants du bout du monde
Torshàvn est une ville de 15 000 personnes dans de petites maisons de toutes les couleurs, posées sur les collines au dessus du port. Ces habitations sont nombreuses à avoir le toit recouvert de gazon, très efficace comme isolant, sans entretien et gratuit. Les îles Féroé sont montagneuses (800 m), très arides et couvertes d’une herbe rase et sans arbre. En réalité, rien ne pousse sous ces latitudes froides où la nuit dure tout l’hiver. A part des lièvres, on ne trouve aucun mammifère à chasser. La pêche pratiquée est essentiellement industrielle pour l’exportation. Les Féroïens doivent donc quasiment tout importer, de Norvège principalement - le pays le plus proche géographiquement -, ce qui explique le coût élevé des denrées ; manger des fruits et des légumes est un luxe.
Un peu de tourisme
Aujourd’hui, ce vendredi 31 mai, nous devions quitter le port à 9h, mais un problème avec la caméra posée en haut du mât de misaine nous a retardé d’une petite heure. Deux marins, Louis et François, sont donc montés en haut de ce mât de 27 mètres pour réparer, sans pour autant trouver la panne. Mais nous avons pu repartir un peu après.
Lucie, biologiste embarquée à Lorient, qui devait descendre du bateau à Torshàvn, a finalement demandé à être déposée à Eidi, un village tout au nord de l’archipel, sur l’île d’Esturoy, pour visiter les Féroé avant de repartir vers la France. Grâce à elle, au lieu de mettre cap au nord directement, nous avons longé les côtes et vu plonger des macareux, quelques pingouins et autres goélands qui nichent dans les falaises sombres et ventées. Le tout par un temps magnifique.
Dernière rencontre avant la haute mer
En fin d'après-midi après avoir laissé Lucie, nous avons croisé un pêcheur et procédé à un échange : quatre belles morues pour le dîner, contre une bouteille de vin rouge et un paquet de cigarettes. Dernières photos, et c’est parti, cap nord-est vers la mer de Norvège ; les montagnes des îles Féroé s’éloignent dans la brume, bientôt, il n’y aura plus de côtes visibles pour un bon moment. L’objectif : monter jusqu’à 75° de latitude nord pour y faire une station d’échantillonnage non loin des glaces. Et cela va prendre plusieurs jours.
- Samedi 1er juin 2013
Un temps d'été en mer de Norvège
« Un temps surréaliste ! » s'enthousiasme le capitaine de Tara, Loïc Valette. Et d'ajouter : « On est entrain de monter vers le grand nord et on se croirait en Méditerranée ! ». De fait, nous sommes à plus 63° nord et le soleil brille sans un nuage pour le voiler, la température extérieure est de 14°C ce matin, la mer est d'huile, le vent est seulement de 1,3 noeud, autant dire qu'il est impossible de naviguer à la voile, c'est donc le moteur qui nous fait avancer. Les objectifs de route du bateau sont fonction des stations de prélèvements, déterminées par les scientifiques du bord, nous ne pouvons pas flâner. Tara continue donc à avancer à une vitesse moyenne de 5,6 noeuds (un peu plus de 10 km/h). Pas un bateau à l'horizon, la terre a disparu depuis hier soir, il y a de moins en moins d'oiseaux de mer. Seuls quelques pétrels se risquent encore à plonger dans une eau à 7°C.
Dans ces conditions, pas besoin de piloter le bateau, le pilote automatique suit la route que le capitaine a tracée. Depuis ce matin, nous avons parcouru 72 milles nautiques (1 mille nautique = 1 852 km, donc 133 km) en 12 heures. Le double en 24 heures puisque le bateau ne s'arrête pas.
L'occasion de travailler
Ce temps d'été a permis à Daniel Cron, le chef mécanicien et Louis Wilmotte, l'électricien, de s'attaquer aux problèmes d'électricité à résoudre. La sécurisation du système électrique à bord est l'un des points les plus importants de l'expédition. Tous les ordinateurs dédiés à la recherche scientifique, tous les instruments de prélèvement et d'analyse, les congélateurs qui reçoivent les échantillons destinés aux laboratoires du monde entier, dépendent de sa bonne marche. Dans ce tour de l'océan Arctique, il y aura peu d'arrêts dans des ports où il serait possible d'expédier les échantillons prélevés. Toute panne serait donc fatale.
Dimanche, la science prend la main
Quelques heures d'arrêt sont prévues dans la matinée pour effectuer des prélèvements d'ordre physique et chimique : température de l'eau, salinité, couleur. Le choix de ce premier arrêt entre les îles Féroé et Tromso répond à plusieurs critères. D'une part, la possibilité d'effectuer des prélèvements dans les eaux internationales où il n'est pas nécessaire de demander des autorisations aux pays riverains, et justement, demain matin, nous serons sortis des zones économiques exclusives (ZEE) qui s'étendent jusqu'à 200 milles des côtes. D'autre part, Tara suit un courant plus chaud, intéressant à observer pour des raisons de cohérence dans les données. Ce courant de l'Atlantique nord prolonge le Gulf Stream qui réchauffe les côtes de l'Europe. D'ailleurs, ce soir, la température de l'eau est remontée à 9°C.
24h de jour en continu
Après cette journée calme, nous entamons une première phase de travail scientifique. Les instruments sophistiqués qui ont été créés spécialement pour cette expédition fonctionneront-ils tous comme prévu ? Pour l'instant, grâce au travail de Marc Picheral, ingénieur scientifique à bord, qui en a conçu l'installation, aucun n'a fait faux bond dans les analyses au fil de l'eau. Il n'y a donc aucune raison de s'inquiéter !
Ah oui, j'oubliais, nous sommes au nord de la planète, c'est le printemps et la nuit ne tombe déjà plus.