L'Ukraine est le pays le plus touché par le sida sur le continent européen

Le Sida continue de faire des ravages en Europe. Avec quelque 360.000 personnes contaminées, l'Ukraine est le pays le plus touché du continent, selon les estimations des Nations Unies. Chaque année, la maladie continue de progresser malgré les centaines de millions d'euros débloquées par la communauté internationale et le travail des ONGs sur le terrain.

Avec notre correspondant en Ukraine, Laurent Geslin

Lors de mes tournées, dans les cages d'escaliers, je peux sentir l'odeur de la shirka, une drogue locale à base d'opium et de solvant » : Raïssa, la quarantaine, monte d'un pas décidé les marches d'une barre communiste de Borschagovka, un quartier pauvre de la périphérie de Kiev. Cela fait sept ans que cette infirmière travaille pour la Croix rouge française, avec d'anciens drogués séropositifs. « J'ai une dizaine de patients que je visite deux à trois fois par semaine, je leur apporte des médicaments et de la nourriture, je les aide à se soigner, et surtout je les écoute », explique-t-elle avant de frapper à la porte de Natasha. « Sans la Croix Rouge et sans mon enfant, j'aurais arrêté de combattre depuis longtemps », explique cette femme de 37 ans. Le visage est fatigué, les jambes creusées par les ulcères, mais le sourire revient quand Natasha passe la main dans les cheveux de sa fille de 6 ans lovée entre ses bras. « La société nous rejette, mais nous pouvons encore être utile à quelqu'un ».

Comme Natasha, ils sont 80 à bénéficier de l'aide de l'ONG française. Une goutte d'eau dans l'océan. En Ukraine, selon les estimations des Nations Unies, 360.000 personnes sont contaminées par le virus du SIDA mais, faute de dépistages systématiques, les trois quarts d'entre elles ignorent porter la maladie. « Les discriminations sont toujours très fortes, ce qui empêche de lancer de grandes campagnes de dépistage. Par exemple, les employeurs ont accès au dossier médical des candidats et une personne séropositive n'a aucune chance d'obtenir un emploi », assure Jürgen Pletsch, le directeur de la Croix rouge française en Ukraine. Ljuba, une autre femme qui bénéficie du soutien de l'ONG, a du faire appel à un avocat pour être admise à hôpital de son quartier : « quand ils ont vu que j'étais séropositive, ils ont refusé de me soigner ».

Pas assez d'éducation sexuelle chez les jeunes

Concentrée dans les années 1990 au sein de populations à risque, comme les drogués ou les prostituées, la maladie se propage désormais à grande vitesse. Selon les estimations des Nations Unies, 1,6% des personnes entre 15 et 49 ans sont déjà contaminées. Et aucune amélioration notable n'est en vue, d'autant que le gouvernement ukrainien a longtemps refusé de prendre le problème au sérieux. Dans les années 1990, durant la période la plus dure de la transition économique, les priorités étaient sans doute ailleurs.

« Seuls 8% des lycéens reçoivent une éducation sexuelle dans les lycées en Ukraine. Or, on sait que les adolescents sont sexuellement actifs de plus en plus tôt et que l'épidémie se transmet beaucoup parmi les jeunes. Le gouvernement a le devoir de prendre les choses en main », souligne Anne-Laura Rhein, qui travaille pour GIZ, une agence allemande qui développe des programmes de prévention contre le SIDA en Ukraine. Mais dans un pays marqué par une instabilité politique chronique, il est difficile de travailler avec les autorités. « Le ministre de la santé change constamment, et quand les têtes sont en train de tomber, plus personne ne veut bouger, plus personne ne veut prendre le risque de faire bouger les choses », poursuit Jürgen Pletsch.

Des fonds encore insuffisants ...

Face à l'urgence de la situation, les organisations internationales se mobilisent. Depuis 2004, le Fonds mondial de lutte contre le SIDA, la tuberculose et le paludisme a injecté 180 millions d'euros pour combattre la maladie en Ukraine et un nouveau programme sur cinq ans devrait permettre de débloquer 200 millions supplémentaires. Et, selon Zahedul Islam, le directeur de Allianz Ukraine -une organisation qui distribue l'aide internationale à plus de 150 ONGs sur le terrain, en Ukraine également- les mentalités sont en train de lentement évoluer : « Les gens font aujourd'hui l'expérience que leurs amis, que leur famille ont la même maladie. Celle-ci ne touche plus seulement des groupes marginalisés, c'est devenu une épidémie qui menace tout le monde ».

Pourtant, dans l'immédiat, la Croix Rouge française a du réduire son programme de 120 à 80 patients et la poursuite de ses actions est menacée faute de financement.

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