C'est que les cris de « mort à l'Amérique » ont été largement repris ce samedi dans le cortège de plusieurs milliers de personnes qui accompagnaient les cercueils du général iranien Qassem Soleimani et d'Abou Mehdi al-Mouhandis, son principal lieutenant en Irak, tués avec huit autres personnes, quatre Iraniens et quatre Irakiens.
Les cercueils des cinq Irakiens ont d'abord été acheminés à Kazimiya, quartier chiite de Bagdad, sur des pick-up surmontés des drapeaux nationaux, au milieu d'une foule largement vêtue de noir. Les corps des cinq Iraniens étaient, eux, surmontés du drapeau iranien. Après le défilé de Kazimiya, l'hommage s'est poursuivi dans la Zone verte de Bagdad en présence de nombreux dirigeants irakiens.
Là se trouvent le siège des plus hautes institutions de l'État irakien et l'ambassade américaine attaquée mardi par des milliers de partisans du Hachd. De hauts dignitaires du régime parmi lesquels le Premier ministre démissionnaire irakien Adel Abdel Mahdi, Hadi al-Ameri, patron des pro-Iran au Parlement, Faleh al-Fayyadh, chef officiel du Hachd, l'ex-Premier ministre Nouri al-Maliki et des chefs de factions chiites, étaient présents.
Devant le cercueil de Abou Mehdi al-Mouhandis, le patron des pro-Iran au Parlement irakien, Hadi al-Ameri, a fait une promesse : « Sois en sûr, le prix de ton sang sera le départ des troupes américaines d'Irak ».
Plusieurs chefs du Hachd se sont montrés lors de ce défilé après des rumeurs, démenties, sur la mort de plusieurs d'entre eux dans un raid samedi avant l'aube, au nord de Bagdad, contre un convoi du Hachd. Dans la nuit de vendredi à samedi, les États-Unis ont frappé une nouvelle fois des soutiens iraniens en territoire irakien, selon la télévision publique et la police irakiennes. Un raid aérien, non confirmé par Washington et démenti par la coalition anti-EI, aurait visé un convoi du Hachd al-Chaabi.
Les dix cercueils ont ensuite été accueillis dans la ville sainte chiite de Kerbala, plus au sud, par une foule en noir ou en treillis militaire qui se frappait la poitrine en signe de deuil. En soirée, Mouhandis et les quatre autres Irakiens tués ont été enterrés à Najaf dans le plus grand cimetière chiite du monde.
Téhéran prépare les cérémonies
Quant aux cinq Iraniens tués avec eux, dont le général Soleimani, leurs corps seront transférés dimanche en Iran. Téhéran prépare trois jours de cérémonies d'hommage.
Des cérémonies en hommage au général Soleimani sont prévues dimanche dans la ville sainte de Machhad au mausolée de l'Imam Reza, huitième successeur du prophète Mahomet pour les musulmans chiites. Ensuite, il y aura une cérémonie officielle lundi à Téhéran en présence du Guide suprême Ali Khamenei et des hauts responsables politiques et militaires iraniens, précise notre correspondant à Téhéran, Siavosh Ghazi. Trois jours de deuil ont été décrétés avant l'inhumation du général mardi dans sa ville natale de Kerman (centre).
Les obsèques officielles en Irak et en Iran montrent le rôle et l'influence du général Soleimani dans les deux pays et l'influence grandissante de Téhéran chez son voisin irakien.
Les responsables iraniens continuent à crier vengeance. Mais des responsables militaires iraniens ont affirmé que l'Iran choisira le moment et la nature de sa réponse. Le président Hassan Rohani, qui a reçu le chef de la diplomatie du Qatar, arrivé à Téhéran dans une visite surprise, a déclaré que les États-Unis paieront un lourd prix pour leur action qu'il a qualifié de « terroriste ». Pour le moment, aucun détail n'a été donné sur la nature de la réponse iranienne. Mais un général des Gardiens de la révolution a affirmé que dès que l'ordre sera donné, ils vengeront le sang du général Soleimani.
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Les brigades du Hezbollah, la faction pro-Iran la plus radicale du Hachd al-Chaabi irakien, ont appelé samedi soir les forces de sécurité irakiennes à s'éloigner « d'au moins 1 000 mètres » de leurs bases abritant des soldats américains à compter de dimanche soir.
La coalition qui lutte contre l'État islamique en Irak a annoncé qu'elle allait réduire ses opérations dans le pays et renforcer la sécurité de ses bases militaires pour des raisons de sécurité. De même l'OTAN, qui compte quelques centaines de soldats sur place, suspend ses missions d'entraînement des troupes irakiennes, a déclaré le porte-parole de l'Alliance nord-atlantique, Dylan White.
L’Irak en tenaille entre l’influence américaine et l’influence iranienne
Hachd al-Chaabi,coalition de milices irakiennes, est très proche de Téhéran, nous explique Clément Therme, spécialiste de l'Iran au CERI-Sciences Po, pour qui l'Irak est pris en otage entre les influences américaine et iranienne. « Il ne faut pas oublier également que l’Iran a une influence au niveau des élites politiques irakiennes, pas seulement au niveau des milices et des groupes non étatiques.
Donc c’est vraiment la révélation d’une chose que l’on savait déjà : il y avait des décisions qui étaient prises à Téhéran, plutôt qu’à Bagdad, ce qui d’ailleurs suscite la colère d’une partie des Irakiens aujourd’hui. Mais il faut mettre en perspective cette colère vis-à-vis des interventions iraniennes, par rapport à la colère qui va émerger contre l’intervention américaine, cette fois, de violation de souveraineté irakienne. Donc il y a vraiment cette prise en otage de l’Irak entre l’influence américaine et l’influence iranienne ».