Avec notre envoyé spécial de retour de Téhéran, Sami Boukhelifa
Six mois après le retrait américain de l’accord sur le nucléaire iranien, la page est définitivement tournée à Téhéran. Et les regards sont désormais braqués sur l’Europe. « Nous allons voir si les Européens suivent le chemin des Américains ou s’ils respectent leur parole en se maintenant dans l’accord. Il en va de leur crédibilité, ce sont eux qui ont négocié cet accord », rappelle Hosseini Shahroudi, vice-président de la commission économique au Parlement.
Mais l’élu se veut confiant : « Si les Européens ne respectent pas non plus leurs engagements, beaucoup d’options s’offriront à nous pour contourner les sanctions et résoudre nos problèmes économiques, assure-t-il. Il ne faut pas oublier que nous sommes autosuffisants. Nous subvenons à plus de 85 % de nos besoins grâce à notre production locale. »
Cet optimisme n’est pas partagé par tous. Au cœur du Grand Bazar de Téhéran, Ali Labbafiane suit l'actualité de près. Ce marchand de tapis, par ailleurs diplômé en sciences politiques, n'a rien raté des récents développements et des sanctions américaines contre l’Iran. Il dénonce une injustice et déplore le manque de solidarité internationale. Pour lui, l'Europe ne fait pas le poids face aux Etats-Unis. « Les Européens nous disent qu’ils restent dans l’accord sur le nucléaire, mais la réalité c’est que leurs entreprises sont en train de quitter l’Iran », constate le commerçant.
Les multinationales font leurs cartons et la monnaie iranienne s'effondre. En un an, la valeur du dollar a été multipliée par quatre. Début septembre, le billet vert s’échangeait ainsi contre 150 000 rials. Et dans les magasins, certains produits commençaient à manquer. Alors que des manifestations d’une ampleur inédite ont éclaté ces derniers mois pour dénoncer la cherté de la vie, de plus en plus d’Iraniens préfèrent quitter leur pays, comme en témoigne Fatima Kashefi, une jeune iranienne rencontrée à Téhéran.
La situation pourrait bien s’aggraver. Après un premier train de sanctions cet été visant notamment le secteur bancaire, l’industrie automobile et l’aviation, les Etats-Unis s’apprêtent à enfoncer le clou en frappant cette fois le secteur névralgique de l’énergie. Objectif : isoler davantage l’Iran pour l’obliger à négocier un nouvel accord plus strict sur le nucléaire, stopper son programme balistique et son influence dans la région.
Pour Ali Labbafiane, Téhéran a aussi sa part de responsabilité dans cette situation. « L’Iran a commis une erreur en s’engageant dans l’accord sur le nucléaire. S’il ne l’avait pas fait et qu’il avait poursuivi son programme nucléaire, aujourd’hui il pourrait, comme la Corée du Nord, négocier en position de force », estime le commerçant.