Avec notre envoyée spéciale dans la région de Mossoul, Anastasia Becchio
Trois femmes enveloppées dans de longues tuniques noires patientent au bord de la route qui mène au centre de Mossoul, entourées d’enfants. Elles attendent une aide qui ne vient pas. La fatigue et l’angoisse se lisent sur les visages. « On crève de faim, dit l’une d’elles. La plupart des membres de ma famille sont des enfants. On n’a plus d’eau, plus d’électricité. Chaque matin, je récupère jusqu’à la moindre miette, j’y ajoute un peu de farine, je mixe ça avec de l’eau pour faire en sorte que mes enfants aient un petit déjeuner. »
A Gogjali, un faubourg de Mossoul libéré la semaine dernière, les habitants qui sont restés voient leur vie se dégrader de jour en jour. « J’ai des invalides dans ma maison, je ne peux pas partir pour le camp de déplacés. Depuis que l’armée est arrivée, on est pris au piège : on n’a plus d’eau, plus l’électricité et plus de nourriture. On est en train de mourir, mes frères, on est en train de mourir ! Nous avons un puits, mais l’eau n’est pas potable : on ne peut plus compter que sur l’aide de Dieu ! »
Une fillette passe devant le groupe : elle marche vers la tour de télévision toute proche en agitant un drapeau blanc. Au loin un voile noir s’étire au-dessus de Mossoul : des déflagrations retentissent. Les combats sont à moins de 2 km de là.
Des civils, qui, pour certains ne se sentent pas vraiment libérés par l’armée irakienne
La zone industrielle de Gogjali, à l’entrée de Mossoul : des carcasses de véhicules calcinés, des bâtiments éventrés, et plus âme qui vive le long de l’autoroute n°2 Erbil-Mossoul, où quelques véhicules militaires et des ambulances passent à vive allure. Un peu plus loin, Abakhmed, 50 ans, enroule un câble devant sa plateforme de pesage des camions. « On préfère mourir ici plutôt que ne quitter notre ville, dit-il. On est nés ici et on mourra ici. Je me bats pour ma survie, je ne compte sur personne. »
La semaine dernière, au plus fort des combats, Abakhmed a passé 4 jours terré avec sa femme et ses enfants dans sa maison. Les soldats irakiens, il ne les voit pas vraiment en libérateurs, d’ailleurs, les deux ans et demi passés sous domination des islamistes ne semblaient pas vraiment le déranger. « Pour ne pas avoir de problème, il fallait éviter certaines choses, poursuit-il, comme porter les vêtements adéquats ou se couper la barbe. Le gouvernement irakien, je sais comment il fonctionne : il vient chez toi et te prend tout, et c’est pareil partout que ce soit à Mossoul, Basssorah et Bagdad. »
Qu’est-ce qui a changé aujourd’hui, s’interroge Abakhmed ? Voilà ça qui a changé, dit l’homme en balayant de la main le paysage de désolation.