Après six années de rupture, Turquie et Israël se réconcilient enfin

Les relations israélo-turques s'étaient progressivement détériorées au cours des années 2000, avant d'être réduites de manière drastique en 2010 en réaction à l'assaut meurtrier lancé par des commandos israéliens contre le Mavi Marmara, un navire affrété par une ONG humanitaire turque pour tenter de briser le blocus imposé par Israël à la bande de Gaza. Cette opération s'était soldée par la mort de dix Turcs.

Israël et la Turquie ont officialisé ce 27 juin la normalisation de leurs relations après six années de brouille, un rapprochement salué par l'ONU comme un « signal d'espoir » pour le Moyen-Orient en crise. Le retour des ambassadeurs dans les deux pays dans les plus brefs délais symbolisera  la fin de cette crise diplomatique qui durait depuis 2010.

En annonçant les détails de l'accord, les dirigeants turcs et israéliens se sont félicités de cette normalisation entre deux pays qui étaient de proches alliés jusque dans les années 2000. Le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahu a assuré qu'elle allait avoir des conséquences positives et immenses pour l'économie de son pays, qui recherche des débouchés pour les réserves gazières qu'il va commencer à exploiter en Méditerranée.

Un haut responsable turc a déclaré que l'accord représentait « une victoire diplomatique pour la Turquie » tandis que le nouveau Premier ministre Binali Yildirim saluait « un pas important » après « tant d'années »de préparations pour cet accord.
Le retour à des relations normales réjouit également les Etats-Unis, qui comptent sur ces deux pays alliés, la Turquie, membre de l'Otan, et Israël, pour renforcer la lutte contre le groupe jihadiste Etat islamique (EI).

Le secrétaire d'Etat américain John Kerry a qualifié l'accord de « pas positif ». De son côté, le secrétaire général des Nations unies Ban Ki-moon, en visite à Jérusalem, a vu dans l'accord« un important signal d'espoir pour la stabilité »du Moyen-Orient, plongé dans une série de conflits et de crises.

Rapprochement progressif

Les relations israélo-turques s'étaient progressivement détériorées au cours des années 2000, avant d'être réduites de manière drastique en 2010 en réaction à l'assaut meurtrier lancé par des commandos israéliens contre le Mavi Marmara, un navire affrété par une ONG humanitaire turque pour tenter de briser le blocus imposé par Israël à la bande de Gaza. Cette opération s'était soldée par la mort de dix Turcs. Israël avait présenté ses excuses en 2013, mais les tensions s'étaient ravivées l'année suivante avec une nouvelle offensive israélienne dans la bande de Gaza.

Afin de rassurer les Palestiniens, Recep Tayyip Erdogan s'est entretenu dans la nuit avec le chef de l'Autorité palestinienne Mahmoud Abbas, selon un communiqué de la présidence palestinienne. Le président turc a également rencontré, le 24 juin, le chef du Hamas, Khaled Mechaal, basé à Doha.

Au cours des dernières semaines, la Turquie et Israël avaient esquissé leur rapprochement, Ankara étant mu par une volonté de restaurer son influence régionale, selon des experts. Israël s'est notamment engagé à verser 20 millions de dollars (18 millions d'euros) aux familles des dix Turcs tués lors de l'assaut contre le Mavi Marmara en 2010 en échange de l'abandon par Ankara de poursuites judiciaires contre les militaires israéliens.

La Turquie avait posé trois conditions à une normalisation des relations : des excuses publiques pour l'assaut, des indemnisations financières pour les victimes et la levée du blocus de Gaza, contrôlée par le Hamas. Mais Benyamin Netanyahu a affirmé que ce blocus resterait en vigueur. « C'est un intérêt sécuritaire de haute importance pour nous. Je n'étais pas prêt à le renégocier », a-t-il déclaré à Rome où il a rencontré M. Kerry.

Blocus destructeur pour Gaza

Selon la Banque mondiale et l'ONU, le blocus maritime, terrestre et aérien a mené l'économie de Gaza, petite enclave coincée entre Egypte, Israël et Méditerranée au bord du gouffre. Il prive également de mouvement la grande majorité de ses 1,9 million d'habitants.

Mais pour Israël, ce blocus est nécessaire pour empêcher l'entrée de matériaux permettant aux groupes armés de produire leurs arsenaux artisanaux. L'accord précise toutefois que la Turquie va acheminer le 1er juillet « plus de 10 000 tonnes d'assistance humanitaire »depuis le port turc de Mersin vers le port israélien d'Ashdod pour les Palestiniens de la bande de Gaza.

Selon les médias israéliens, Ankara se serait engagée à empêcher le Hamas au pouvoir à Gaza de mener des activités anti-israéliennes à partir de son territoire, mais il pourra continuer à avoir des activités diplomatiques en Turquie.

Benyamin Netanyahu était soumis à des pressions en Israël pour ne pas signer cet accord sans que le Hamas s'engage à restituer les corps de deux soldats israéliens tués à Gaza en 2014 mais aussi à libérer deux Israéliens présumés vivants et détenus par le mouvement islamiste. Recep Tayyip Erdogan a accepté, selon un responsable israélien, d'apporter son aide sur cette question.

Communication

Pour Dorothée Schmid, chercheuse spécialiste de la Turquie contemporaine à l'Institut français des relations internationales (IFRI), cet accord a surtout « une vocation de communication pour les deux gouvernements ». Elle rappelle au micro de RFI que ce rapprochement était en cours de négociation depuis plusieurs années, notamment sur les tensions autour du Mavi Marmara. « Ils sont toujours arrivés très très près de la réparation, rappelle la chercheuse. Il leur fallait simplement annoncer l'accord définitif, mais finalement on s'aperçoit que la négociation n'a toujours pas avancé, puisque les points de contentieux sont toujours les mêmes. »

Pour Dorothée Schmid, ces contentieux sont « assez logiques » au vu de la politique étrangère des deux pays. « Chacun cherche à trouver des alliés dans la région, mais en réalité chacun est très isolé au Moyen-Orient, explique-t-elle. D'un côté les Turcs sont plutôt dans une phase de tension très forte avec leurs alliés occidentaux. Aussi bien les Etats-Unis que leurs partenaires de l'Otan. Le gouvernement israélien qui est dans une espèce de phase de déconstruction tendancielle, sur fond de montée des populismes et de malaise social très fort en Israël, de brouille avec les forces politiques modérées, a aussi besoin d'annoncer des "victoires diplomatiques". Et on sait que le fantasme aujourd'hui du gouvernement israélien, c'est de monter une coalition des pays sunnites modérés pour s'opposer à l'Iran et la Turquie est censée être un des pivots de cette coalition. »

Avec AFP

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