Les Syriens n’oublient pas la Saint-Valentin

Depuis plus de mille ans, l’amour est une composante essentielle de la culture arabe. En Syrie, la Saint-Valentin s’appelle aussi Aïd al-houbb, Fête de l’amour. Le 14 février est, depuis plus d’une décennie, devenu une fête populaire où grand nombre de Syriens, de tous âges et de toutes confessions, célèbrent l’amour à coups de roses de Damas et de cadeaux. Mais en ces temps de guerre, les cœurs sont inévitablement moins à la fête.

Si les Arabes possèdent 99 noms pour nommer Allah, ils en disposent d’une centaine pour évoquer l’amour. Car l’amour est loin d’être une mince affaire dans le monde arabe et nombreux sont les poètes qui ont chanté ses bienfaits mais aussi ses dangers. Parmi les plus célèbres, Ibn Arabi (1165-1241), enterré à Damas, pour qui « De l’amour nous sommes issus. Selon l’amour nous sommes faits. C’est vers l’amour que nous tendons. A l’amour nous nous adonnons ».

En Syrie, avant la guerre, les semaines qui précédaient la Saint-Valentin étaient consacrées pour beaucoup de commerçants à la décoration de leurs boutiques aux couleurs de l’amour. Entre les multiples portraits de Bachar el-Assad et de sa famille, les vitrines arboraient des cœurs à tout-va, les boutiques de voiles ou de lingerie féminine se mettaient au goût du jour de l’amour, le rouge, les célèbres roses de Damas envahissaient les échoppes de fleurs tandis que les pâtisseries exposaient des gourmandises à la crème en forme de cœur. L’amour à la mode orientale, exubérante.

Cette année encore, dans le chaos, des habitants de Damas diffusent pourtant sur les réseaux sociaux des photos de banderoles de peluches flanquées de cœurs disséminées dans les grandes artères de la capitale, signe que malgré la guerre, l’amour est toujours présent. Mais les choses ont changé, à l’instar du prix des fameuses roses de Damas qui a flambé. Ainsi, les cœurs sont loin d’être à la fête...

Un coup de foudre à Paris

Maram et Yazan se souviennent, un sourire en coin, faussement effarouchés d’évoquer le sujet. Ils ne se connaissaient pas encore lorsqu’ils vivaient en Syrie. Ils avaient à peine 20 ans. Les foudres de l’amour leur sont tombées dessus à la fin de leur fuite en mars 2014. « On était dans le même groupe de 25 étudiants qui sommes arrivés dans le cadre d’un programme avec le Val-de-Marne », se souvient Yazan. Le jeune garçon, triplement déraciné puisqu’originaire du camp palestinien de Yarmouk et réfugié en 2012 aux Emirats Arabes Unis avec une partie de sa famille, tente de se remémorer son arrivée à Paris.

Quant à Maram, elle a laissé derrière elle à Damas toute sa famille, dont un frère emprisonné par le régime depuis plus de trois ans. « C’était la première fois que je quittais la Syrie, et seule en plus, raconte-t-elle en souriant, j’avais trop peur. » « Le 12 mars, l’interrompt Yazan, on s’est rencontrés. C’est allé très vite. Et le jour de mon anniversaire, en avril, je lui ai dit que je l’aimais. C’était un coup de foudre. »

Depuis ce jour, Yazan et Maram sont inséparables, même s’ils ne vivent pas ensemble « parce que ma mère, même si elle est au courant que j’aime Maram, vient de temps en temps chez moi, alors... ». Les deux étudiants, qui sont officiellement réfugiés politiques, racontent leur histoire d’amour les yeux emplis de passion. Se dévorant du regard, ils se projettent déjà vers l’avenir. « On va finir nos études à Paris, et puis on verra », poursuit la jeune fille qui préfèrerait rester « dans la ville dont elle ne connaissait que la Tour Eiffel » mais qui, quoi qu’il arrive, suivra Yazan s’il veut aller vivre aux Emirats ou aux Etats Unis. « Paris a des sentiments, c’est la ville de l’amour », soupire-t-elle de joie.

« La première fois que nous nous sommes promenés à Paris en amoureux, on s’est perdus, s’amusent-ils à raconter. On demandait juste "Métro" aux gens pour essayer de rentrer et au final, on est arrivés à trois heures du matin. » « Alors, j’ai été obligé de dormir chez Maram car il était trop tard et il n’y avait plus de transports  », plaisante Yazan.

S’accrocher à ce qui reste

Cinq ans après le début de la guerre qui a fait plus de 260 000 morts, la priorité n’est plus à l’amour pour les Syriens qui sont restés dans leur pays comme pour les millions d’autres qui l’ont fui. « La guerre va continuer parce que personne ne s’intéresse vraiment au peuple syrien », déplore Maram qui a de plus en plus de difficultés à joindre ses parents du fait des bombardements qui pleuvent près de leur maison.

Pourtant, tous gardent l’espoir en des jours meilleurs et s’accrochent à ce qui leur reste : l’amour. « Nous sommes arrivés en France alors que nous ne connaissions presque personne. C’est l’amour qui nous a sauvés », concluent-ils, visiblement très émus. Pour ce 14 février, même si une partie de son cœur est empli d’inquiétude pour les siens en Syrie, Maram « prépare une surprise pour celui qu’elle aime plus que jamais ». De son côté, Yazan persiste et signe : « La Saint-Valentin, c’est tous les jours pour moi avec Maram ».

Si la guerre a brisé des vies, décimé des familles, elle a aussi engendré malgré elle des couples de gens qui s’aiment et qui espèrent un jour fêter la Saint-Valentin dans leur pays, la Syrie. Un jour qui pourrait durer plus de mille et une nuits.

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