Avec notre correspondant à Istanbul, Jérôme Bastion
Hier samedi, trois ministres du gouvernement avaient rendu visite au camp de réfugiés de Mürsitpinar, louant les efforts de la Turquie pour ouvrir ses bras aux réfugiés de toute origine ethnique et de toute confession. Ils avaient donné l’autorisation aux élus locaux, kurdes, d’installer leurs propres tentes pour accueillir les populations kurdes de Syrie fuyant les attaques des djihadistes de l’Etat Islamique.
Une zone tampon à la frontière
Mais tôt ce matin les forces de sécurité ont donné l’assaut contre le camp de Mürsitpinar alors que des Kurdes de Turquie venaient apporter leur aide à leurs cousins réfugiés de ce côté de la frontière. Pourquoi ? C’est difficile à comprendre, mais il est possible qu’avec le passage vers le Kurdistan syrien de combattants du PKK, donc la rébellion kurde de Turquie, Ankara ait raidi sa position et veuille deux choses : d'abord isoler les réfugiés kurdes de Syrie dans des camps du gouvernement, et ensuite empêcher les Kurdes de Turquie de passer côté syrien pour aller défendre le canton de Kobané contre l’offensive des jihadistes de l’organisation Etat Islamique, qui fait rage depuis près d’une semaine.
C’est la raison de la présence ce matin de plusieurs députés pro-kurdes – dont l’un, Hüsamettin Zenderlioglu, député du HDP, a été blessé et hospitalisé- venus ce matin rendre visite aux réfugiés kurdes syriens : ils demandaient l’ouverture de la frontière.
Il est probable que la Turquie soit en train de mettre en place depuis ce matin une zone tampon à la frontière syrienne. Cette zone tampon que Ankara rêve depuis longtemps d’instaurer de l’autre côté, côté syrien, se met en place de fait côté turc et laisse les Kurdes syriens à la merci des combattants islamistes.
Les Kurdes persona non grata
Il est certain que la situation est de plus en plus délicate pour Ankara. Trois ans de répression du régime de Bachar el-Assad ont poussé vers la Turquie quelque deux millions de Syriens, « amis », peut-on dire, car arabes ou turkmènes musulmans sunnites, partisans de l’Armée Syrienne Libre soutenue par la Turquie contre Damas.
Cet afflux de réfugiés n’a guère jusque là causé de problèmes. Mais depuis l'offensive en juin des jihadistes de l’Etat Islamique sur l’Irak, mais aussi sur le Kurdistan syrien, ce sont des Kurdes qui s’invitent en Turquie (déjà plus de 100.000 au cours du mois écoulé). Ceux-ci sont cette fois des « amis » – et même des cousins – des Kurdes de Turquie, et cela pose un problème de conscience aux dirigeants turcs, toujours réticents à donner des gages à leur minorité turque, à lui tendre la main, à lui laisser l’initiative, surtout pour disposer des mouvements de populations aux frontières du pays.
Les Kurdes, c’est certain, ne bénéficient pas du même traitement de faveur que la première vague de réfugiés syriens, installés dans des camps et souvent aussi dans les villes.