Irak: les tribus sunnites reviendront-elles vers l’Etat irakien?

Les tribus sunnites ont lancé ce week-end une « révolution populaire » dans la province d'al-Anbar, pour rejoindre les forces gouvernementales irakiennes. Cette province à l'ouest du pays est une zone largement sous contrôle de l'Etat islamique. Les combattants des tribus et les forces gouvernementales ont ainsi repoussé les jihadistes hors des secteurs qu'ils tenaient près de Ramadi, la capitale de la province. Francois Géré, directeur de l’Institut français d’analyse stratégique, répond aux questions de RFI.

RFI : Comment peut-on expliquer ce revirement de situation pour ses sunnites ?

Il y a un évènement politique majeur, c’est le départ du Premier ministre al-Maliki, qui était considéré comme un adversaire déclaré et qui, en acceptant, non sans difficulté, de laisser un nouveau Premier ministre M. Abadi, le remplacer, crée un espace politique nouveau, qui permet une négociation nouvelle entre les tribus sunnites et le gouvernement central qui reste, conformément à la composition ethnique du pays entre les mains des chiites, qui représentent 75% de la population. Mais il y a un nouveau contexte et les tribus sunnites attendent évidemment le nouveau Premier ministre au tournant, pour savoir si il va se comporter autrement que son prédécesseur.

Est-ce que l’on peut parler d’un réveil pour ces tribus sunnites ou s’agit-il d’une révolte à petite échelle finalement ?

C’est un retour à ce qu’il s’est passé en 2007, lorsque précisément, les Etats-Unis, avec le Général Petraeus, avaient obtenu des tribus sunnites qu’elles se détachent d’al-Qaïda en Mésopotamie et qu’elles reviennent en direction du gouvernement central irakien en leur donnant des gages, selon lesquelles elles seraient représentées politiquement.

Représentées politiquement, cela veut dire qu’elles auraient aussi un accès, naturellement, et une répartition équitable des revenus pétroliers. Ce que n’a pas fait al-Maliki. C’est fondamentalement la raison de ce déséquilibre qui s’est installé mais qui a fait que les tribus sunnites qui, profondément, détestent les radicaux, comme ceux de l’Etat islamique proclamé. Aujourd’hui, il y a un changement de gouvernement à la tête de l’Irak. Elles changent leur position, elles reviennent à une volonté de constituer une part de l’Etat irakien. Maintenant il est évident que le nouveau gouvernement devra donner très très rapidement des gages sur la base du nouveau rapport de force et pour le moment, on a effectivement un double tournant. A la fois militaire du fait de l’engagement américain. Et puis un tournant politique, on verra d’ici la fin de l’année où se trouve l’Irak par rapport à ça.

Est-ce que vous pensez que cela peut changer la donne en Irak, notamment d’un point de vue militaire, avec ces tribus sunnites qui, aujourd’hui, vont combattre contre l’Etat islamique, en tout cas c’est ce qu’elles disent ?

Il faut considérer deux niveaux. Le premier niveau c’est que l’Irak et une partie de la Syrie sont devenus le théâtre d’affrontement entre deux grandes puissances régionales, d’une part l’Iran et d’autre part l’Arabie saoudite qui, à travers les groupes qu’ils soutiennent, les tendances qui leur sont proches, s’affrontent. Alors, maintenant, la question est de savoir, au niveau local, comment les accords se passent. Les tribus sunnites d’Irak veulent d’abord bénéficier d’une représentation politique qui leur permettra d’avoir accès aux bénéfices pétroliers.

Et puis d’autre part, les chiites, qui sont majoritaires dans leur pays, ne sont pas totalement dans la dépendance de l’Iran. Un des évènements majeurs de cette crise, ça a été le grand Ayatollah Sistani, qui depuis des années, en fait, tient le pays. Il tient le pays à travers le chiisme et à travers des compromis avec le sunnisme. Donc aujourd’hui on a un changement complet politique qui devra s’inscrire militairement, mais ça je dirais que c’est militairement facile, et puis nous verrons à la fin de l’année où en sont les positions des uns et des autres, chacun ayant fait des concessions, des Iraniens et probablement, on peut l’espérer des Saoudiens.

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