Plus de 25 tribus ont lancé ce week-end ce qu'elles appellent une « révolution populaire » dans la province à majorité sunnite d'al-Anbar, dans l'ouest de l’Irak. Une zone largement sous contrôle de l'Etat islamique. A l'image du soulèvement de 2006, un groupe, nommé « Les brigades de Hamza », aurait été reformé dans la ville de Haditha, au nord d'al-Anbar pour combattre auprès des forces gouvernementales irakiennes. Une source policière locale, le commandant de police Ahmed Sadag, a indiqué que les combattants des tribus et les forces gouvernementales avaient repoussé les jihadistes hors des secteurs qu'ils tenaient à l'ouest de la capitale provinciale Ramadi, rapporte les envoyés spéciaux de RFI à Mossoul, Aabla Jounaïdi et Boris Vichith. Des combats ont eu lieu également dans d'autres zones, dont la ville stratégique de Haditha, plus au nord.
« Une clé du conflit irakien »
Alors que la bataille engagée par les peshmergas kurdes soutenus par l’aviation américaine fait toujours rage pour tenter de reprendre le barrage de Mossoul aux jihadistes de l'Etat islamique, ce ralliement de tribus sunnites est un tournant majeur. Un tournant rendu possible par le départ de Nouri al-Maliki, qui a accepté de passer la main à Haïdar al-Abadi. Le Premier ministre sortant était devenu la bête noire des sunnites qui s'étaient parfois alliés aux jihadistes ces derniers mois.
C’est un indéniable tournant, pour Mathieu Guidère, spécialiste de l’Islam, auteur notamment du livre Le printemps islamiste - Démocratie et charia (2012, éditions ellipses). « Ce tournant vient d’une conjonction de deux éléments importants, juge Mathieu Guidère. Le premier, c’est le vote par le Conseil de sécurité, sous le chapitre VII*, d’une série de mesure pour contrer l’Etat islamique ». Il y a également le fait que « certaines tribus que l’on avait vu rallier jusque-là l’Etat islamique pour protéger les sunnites contre le gouvernement de Nouri al-Maliki, n’ont plus de raisons de rester alliées avec l’Etat islamique ». Ces tribus vont donc à priori faire défection et suivre une stratégie similaire à celle qu’elles avaient suivie pendant la présence américaine en Irak. « Globalement, les Américains ont réussi à chasser al-Qaïda, à pacifier la situation, essentiellement grâce aux sahwa, les "brigades du Réveil", le nom de ces forces tribales. » Pour Mathieu Guidère, cela ne fait donc aucun doute : « Une clé du conflit irakien, et une clé contre l’Etat islamique résident dans ces forces tribales là. »
La « Dhimma », fondement idéologique des exactions contre les minorités
Un Etat islamique dont, chaque jour ou presque, des témoins rapportent les exactions. En Irak, l'organisation s'en prend aux chiites, aux chrétiens et à la minorité yézidie. Mais les musulmans sunnites peuvent, aussi, être la cible des jihadistes radicaux : en Syrie, 700 membres d'une même tribu sunnite auraient été tués ces dernières semaines par les hommes de l'Etat islamique. Cette tribu de la région de Deir Ezzor, dans l'est de la Syrie, se serait rebellée contre les jihadistes.
Mathieu Guidère décrypte l’idéologie sur laquelle s’appuie l’EI, qui explique en partie la violence et les exactions à l’égard des minorités : « Le chef de l’Etat islamique, Abou Bakr al-Baghdadi, autoproclamé calife, applique une idéologie, une façon de faire, qui a été appliquée au cours des siècles. (…) Les minorités qui résident dans le monde musulman sont soumises au régime de la dhimma, le régime de la protection. Ce type de protection implique pour les minorités chrétiennes et juives de payer un impôt supplémentaire, un impôt de protection », expose Mathieu Guidère. En cas de refus de paiement de cet impôt, « le calife va leur proposer de se convertir à l’Islam pour ne pas payer cet impôt des non-musulmans ». En cas de nouveau refus, le calife « va les chasser des territoires musulmans ». Et, en cas de nouveau refus, « la guerre est déclarée et la plupart du temps, il y a eu des massacres. Il semblerait aujourd’hui que l’Etat islamique est en train d’appliquer cette même logique, sectaire et très radicale apparue sous certain calife de Bagdad ».
(*) Le Chapitre VII de la Charte des Nations unies prévoit que lorsque le Conseil de sécurité « constate l'existence d'une menace contre la paix, d'une rupture de la paix ou d'un acte d'agression » il a la possibilité de décider de « mesures (…) pour maintenir ou rétablir la paix et la sécurité internationales. »