Avec notre envoyée spéciale à Erbil, Aabla Jounaïdi
Les Kurdes ne croient pas à un gouvernement d'union nationale mené par Nouri al-Mlaiki. Selon un responsable du PDK, parti historique kurde, Maliki se préoccupe davantage de sa survie politique que de l'intérêt national. Le gouvernement kurde avait déjà demandé sa démission, l'accusant de favoriser « la désintégration de l'Irak par sa politique pro-chiite ».
La débâcle de l'armée irakienne qui a permis en partie l'avancée rapide des insurgés est aussi attribuée par les Kurdes à Maliki qui cumule les fonctions de Premier ministre, chef des armées et ministre de la Défense. L'impasse politique nourrit l'instabilité et les violences qui touchent désormais le territoire sous protection kurde.
Attentat à Kirkouk
Pour la première fois, Kirkouk, une ville multiethnique et multiconfessionnelle où les Kurdes se sont déployés en force après le retrait de l'armée irakienne a été frappée par un attentat-suicide. Une voiture a explosé près d'un marché dans un quartier à majorité kurde faisant au moins 5 morts.
La tension est forte dans cette région riche en pétrole que Kurde et Turkmènes revendiquent comme capitale historique et qui intéresse aussi les insurgés, pour ses ressources. A Kirkouk, le front où Kurdes et Turkmènes combattent les insurgés sunnites n'est qu'à quelques kilomètres.
De son côté, le puissant chef chiite Moqtada al-Sadr a déclaré, dans une allocution télévisée depuis son fief de Najaf, vouloir faire trembler « la terre sous les pieds de l’ignorance et de l’extrémisme », ne souhaitant en aucune façon que les Etats-Unis apportent leur soutien au régime de Bagdad.
Avant les tonitruantes déclarations de Moqtada al-Sadr, on a vu ses partisans défiler en armes dans les rues de Bagdad, notamment dans l'immense quartier chiite de Sadr City. Dans ce contexte, verra-t-on renaître la puissante milice qu'il avait levée après la chute de Saddam Hussein en 2003, « l'armée du Mahdi » ?
Pour l'instant, le puissant dirigeant chiite ne l’a pas annoncé. Il s'est contenté d'appeler à la création de « brigades de la paix » chargées de défendre les lieux de cultes chiites.
Maliki s'isole
Reste qu'à ce train là, le Premier ministre irakien, lui, va se mettre à dos ses alliés les plus puissants. Washington, mais aussi la Grande-Bretagne ou encore la France ne cessent de répéter qu'il ne peut y avoir d'issue à la crise irakienne qu'en formant un gouvernement d'union nationale qui intégrerait des représentants de la communauté sunnite.
La plus haute autorité religieuse chiite du pays, Ali al-Sistani, qui prend rarement la parole sur la chose publique, avait brisé son silence pour appeler lui aussi à la formation d'un gouvernement de salut public. Peine perdue donc.
Le Parlement, si le quorum est atteint, ce qui ne va pas de soi, devrait se réunir le 1er juillet. Mais comme le parti du Premier ministre n'a pas la majorité à lui seul, il devra négocier avec ses adversaires. Cela pourrait prendre des mois.
Al-Nosra se joint à l'EIIL
Or il y a urgence : face aux Kurdes et aux forces de Bagdad, les islamistes se réorganisent. L'Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL) aurait obtenu le ralliement du Front al-Nosra, représentant officiel d'al-Qaïda en Syrie. Des utilisateurs de Twitter ont diffusé sur internet une photographie montrant le chef du Front al-Nosra dans la localité syrienne de Boukama de la vallée de l'Euphrate, Abou Youssouf al-Masri, prêtant serment d'allégeance à l'un des chefs militaires de l'EIIL.
La fin des hostilités entre les deux groupes rivaux s'est conclue dans la nuit de mardi à mercredi, selon l'Observatoire syrien des droits de l'homme (OSDH). De fait donc, l'EIIL contrôle parfaitement les deux côtés de la frontière syro-irakienne. Les combattants d'al-Nosra et ceux de l'EIIL combattaient certes le régime syrien de Bachar el-Assad, mais se disputaient aussi l'héritage d'al-Qaïda. Des combats extrêmement sanglants les ont opposés, combats qui se sont soldés par des milliers de morts.
Al-Nosra a donc finalement accepté de se fondre au sein de l'EIIL. Ce dernier, fort de ses victoires, a amoncelé une fortune considérable avec la contrebande de pétrole en Irak et le pillage de la banque de Mossoul. Il a acquis aussi un armement moderne, ravi à l'armée irakienne. Ou du moins à ce qu'il en reste.
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