Hosham Dawod: «L’Amérique tient à l’unité de l’Irak»

Après Bagdad, c’est à Erbil, au Kurdistan autonome irakien qu’était ce mardi 24 juin au matin le secrétaire d’Etat américain. John Kerry est toujours attelé à rassembler les forces politiques d’Irak face à l’offensive jihadiste. Hosham Dawod, anthropologue au CNRS, en poste en Irak, à Erbil, répond aux questions de RFI sur cette visite du chef de la diplomatie américaine.

RFI : Quel sens donnez-vous à cette visite de John Kerry ?

Hosham Dawod : Au vu de la situation irakienne, évidemment c’est une visite importante. Kerry a fait une tournée dans les régions pour essayer de tester un peu la réaction des pays autour, à commencer par le cœur, peut-être essaiera-t-il d’aller ailleurs. Mais l’escale irakienne à Bagdad a été très importante, parce qu’il a discuté avec le Premier ministre irakien sur la rapidité et l’urgence de former un gouvernement. Il n’a pas apporté d’appui à Maliki. Il s’est laissé la porte ouverte. Deuxièmement, il a dit deux ou trois choses très importantes : l’Amérique tient à la souveraineté et à l’unité de l’Irak. C’est un message envoyé en direction des Kurdes. Aujourd’hui, il a débarqué à Erbil, mais pour une réunion avec toutes les directions kurdes et non pas seulement avec le président. Donc en voyant qu’il y a une réaction commune kurde, il faut prendre en compte le fait que s’ils veulent l’indépendance dans sa totalité, s’ils sont dans des tas de négociations opposant une forme de pression avec Bagdad et surtout il faut considérer la région dite disputée, la région qui était en litige et qui rentrerait dans le giron du Kurdistan comme quelque chose d’office et de facto. Donc, l’essentiel pour l’Amérique aujourd’hui, c’est de mobiliser les Irakiens contre l’Etat islamique. Deuxièmement, c’est d’arrêter leur avancée, et troisièmement de former un gouvernement, et puis, si possible, de sauver l’unité de l’Irak.

Justement, que veut dire le président de la région autonome, Massoud Barzani, quand il affirme qu’aujourd’hui, c’est une nouvelle réalité que vit son pays ?

Il y a deux ou trois choses. C’est une nouvelle réalité, car c’est la première fois que le Kurdistan irakien, dans son histoire, se trouve dans une telle position de force. Deuxièmement, c’est aussi pour la première fois que toutes ces zones dites discutées rentreraient de facto dans le giron de l’administration kurde. Troisièmement, il y a un débat et il y a parfois des divergences. Pour le Kurdistan, c’est le moment d’avancer vers l’indépendance ou de rester à l’intérieur d’un Irak affaibli, mais les Kurdes ont une force, une présence assez importante. Il faut tenir compte de tout ce changement et surtout de la force et de la détermination des Kurdes.

En tout cas, on voit bien que Bagdad a été pour le moins déstabilisé, en tout cas fragilisé, et que demain il n’y aura pas le même rapport de force entre les différentes constituantes de ce peuple irakien ?

Oui, pour l’instant si on regarde les rapports de force, elles ne sont pas tout à fait favorables à Bagdad, la composante chiite doit un peu lâcher du lest. Maliki, s’il veut rester au pouvoir doit composer avec, y compris, ses adversaires. Il voulait un gouvernement de majorité politique, donc c’est une idée totalement refusée, rejetée non seulement par nombre d’Irakiens, mais aussi par les pays de la région et les Etats-Unis. Il faut maintenant un gouvernement qui accepte la concertation. L’idée, c’est ça. Les autres veulent un gouvernement fédéral faible. Maliki veut un gouvernement fédéral fort. S’il y a un gouvernement fort, cela veut dire que demain et après-demain, le rapport de force se rééquilibrera en faveur de Bagdad, et peut-être nous serons en face d’autres types de revendications, voire de tensions.

Vous êtes à Erbil, on entend ces informations sur la fuite des réfugiés. Est-ce quelque chose de visible dans cette capitale du Kurdistan irakien ? Est-ce que vous voyez, quand vous vous promenez dans les rues, des familles, des gens sans abri ?

Ce qu’on voit, c’est quand même le paradoxe. C’est vrai, il y a un déplacement en masse, selon les données des Nations unies, et je crois que ce sont des données crédibles. Dans les rues d’Erbil, on ne voit pas autant de réfugiés qui sont ici, couchés dans la rue, etc. Non. En revanche, on voit se glisser la pénurie d’essence, vu l’occupation des grandes raffineries à Baiji. On voit qu’il y avait des gens qui habitaient ici et qui sont déplacés depuis la guerre de Falloujah et à Al-Anbar, qui remonte à plusieurs mois. Dans les zones tampons qui séparent celles du Kurdistan et de Ninive, dans cette région-là, il y a une grande quantité de gens qui sont dans des camps et aussi dans les régions du sud du Kurdistan. C’est là où on voit aussi des gens qui sont déportés. Mais il y a aussi un déplacement à l’intérieur même de la région sunnite, des gens qui bougent vers Mossoul, vers Tal Afar, etc. Il y a un mouvement, mais pas forcément de concentration à l’intérieur d’Erbil même.

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