RFI : Cette alliance Iran-Etats-Unis est-elle réellement envisageable ?
David Rigoulet-Roze : Le rapprochement n’est pas surprenant. Même si à Washington, on a déclaré qu’on était loin de rétablir officiellement des relations diplomatiques. Des discussions assez approfondies sont en cours, en marge de celles qui ont lieu sur le nucléaire iranien. Apparemment, selon le porte-parole du département d’Etat, il y a eu de très bonnes concertations à propos de l’Irak et ça fait écho évidemment à la déclaration du président Rohani samedi 14 juin qui évoquait le fait que Téhéran pouvait songer à travailler avec les Etats-Unis si l’Amérique était décidée à lutter contre les groupes terroristes en Irak et ailleurs. On voit bien qu’il y a quelque chose qui est en train de bouger sur le long terme, que c’est une mutation profonde aux enjeux considérables, ce qui explique d’ailleurs l’embarras de l’Arabie Saoudite, qui a très peur de ce rapprochement.
Ce matin, le président iranien Hassan Rohani assurait que son pays ferait tout pour protéger les lieux saints de l’islam chiite en Irak face à la menace des jihadistes. A-t-il les moyens d’intervenir militairement en Irak aujourd’hui ?
Les Iraniens ne veulent pas donner l’impression qu’ils interviendront directement manu militari sur le terrain, même s’ils sont dans la même démarche, dans la même posture que vis-à-vis du soutien de Bachar el-Assad, c’est-à-dire qu’il y a déjà le Qasem Soleimani qui est le chef de la force al-Qods qui est à Bagdad pour justement encadrer, apporter une aide en termes de conseils militaires au gouvernement Maliki pour reprendre la main sur le terrain face à la poussée des jihadistes. Donc d’une certaine manière, c’est l’application du même modèle que celui qui a été déployé en Syrie pour soutenir le régime de Bachar el-Assad.
Cela veut dire que ça passe obligatoirement par le réarmement des milices chiites irakiennes ?
Oui. Réarmement, encadrement, conseils militaires effectivement avec certainement des troupes, des membres des forces al-Qods pour soutenir le gouvernement Maliki.
Il y a bien sûr des milliers d’Iraniens qui vivent en Irak. Quel rôle peuvent-ils jouer aujourd’hui face à la situation ?
L’Irak est un pays particulièrement sensible pour l’Iran dans la mesure où effectivement il y a les lieux saints. L’essentiel des lieux saints chiites se trouvent en Irak et les principaux étant Nadjaf, Karbala, mais également Samarra qui est sous la menace de la poussée jihadiste de l’EIIL. Et ça explique la fermeté du gouvernement iranien vis-à-vis de la défense de ces lieux saints.
A travers ces déclarations, le président iranien vise aussi l’Arabie Saoudite. Arabie Saoudite-Iran, c’est au fond la vraie guerre qui se joue en ce moment en Irak ?
Probablement, c’est-à-dire que la variable ethno-confessionnelle est largement instrumentalisée. Derrière, il y a une logique de puissance entre d’une part l’Arabie Saoudite qui s’est toujours présentée comme le fer de lance du monde arabo-sunnite, en soutenant éventuellement certains groupes radicaux, puis en face l’Iran perse et chiite qui, évidemment, se présente comme la puissance protectrice de tous les chiites, y compris les Arabes chiites. Ce conflit structure et traverse toute la région qui est engagée quasiment dans un conflit d’envergure et qui est très préoccupant par les enjeux qu’il soulève.
Le fait que le religieux Sistani appelle les chiites, lui aussi, à prendre les armes, ça marque également un tournant dans cette crise irakienne ?
C’est incontestablement un tournant dans la mesure où l’ayatollah Sistani, qui est quand même un marja [ NDLR : personne ayant autorité au plus haut niveau ] très important du clergé chiite, a toujours fait montre de prudence y compris pendant les années extrêmement difficiles de l’affrontement communautaire des années 2006-2007. Le fait qu’il fasse passer ce message à destination de la communauté chiite, c’est évidemment un message très fort. Ça ouvre la porte effectivement à un accroissement des affrontements de type sectaire dans la mesure où l’ayatollah Sistani considère que là vraiment, ce qui est en jeu, c’est la survie même du pouvoir chiite à Bagdad.
Ça veut dire que son message va être suivi des faits, selon vous ?
Il est déjà suivi d'effets dans la mesure où sa parole est extrêmement importante pour les chiites. Donc le fait qu’il ait lancé ce message, évidemment aura un écho majeur pour la suite des événements.