RFI : Monseigneur Gollnisch, les attentes des chrétiens sont très grandes. Quel message sont-ils en mesure de recevoir du pape François, tout d’abord aujourd’hui en Jordanie, puisqu’il vient d’arriver à Amman ?
Monseigneur Pascal Gollnisch : En Jordanie, les chrétiens sont peu nombreux ; 1% ou 2 % de la population, mais ils vivent réellement d’un certain respect des autorités jordaniennes, de la population de Jordanie. Et il était tout à fait remarquable qu’en Jordanie les chrétiens de toute la région puissent venir. Parce que vous savez que les Palestiniens ne peuvent pas aller au Liban. Les Libanais ne peuvent pas aller en Palestine, tandis que tout le monde peut se retrouver en Jordanie.
Et ce matin il y avait un point de presse, il y avait le patriarche d’Egypte, celui d’Irak, de Bagdad, celui de Beyrouth, celui de Damas, celui de Jérusalem. Ils étaient là ensemble à parler d’une seule voix. Je crois qu’il n’y a que le pape qui peut permettre cela. Alors en Jordanie il y aura certainement la prise en compte de ce dialogue interreligieux qui se noue dans des conditions extrêmement positives en Jordanie notamment, grâce à l’autorité du roi de Jordanie qui est y est très favorable.
Alors ensuite évidemment, pour le reste le pape vient en pèlerin. Il a clairement dit qu’il voulait donner cette dimension de pèlerinage à son voyage, dimension œcuménique aussi, en rencontrant le chef de l’Eglise orthodoxe, le patriarche de Constantinople…
C’est ce qu’avait débuté Paul VI il y a cinquante ans. Est-ce que le pape François aujourd’hui peut arriver à ce dialogue de réconciliation ?
Je crois que dans le domaine œcuménique, après cette première rencontre il y a cinquante ans, le dialogue œcuménique est constant, il est permanent. Les responsables des églises se rencontrent, il n’y a plus d’hostilité, d’agressivité, entre les églises catholiques, orthodoxes d’une manière générale. Il peut toujours y avoir ici ou là des personnes. Mais globalement, les églises se rencontrent, elles prient ensemble. Elles ont prié en prévision de ce voyage ensemble ; catholiques et orthodoxes, à Notre-Dame de Paris. Donc ce sont des choses régulières et c’est d’une certaine manière une façon de rendre grâce aux cinquante années de rapprochement.
Maintenant l’unité complète se heurte à des questions, je ne vais pas rentrer dans les détails. L’unité complète totale n’est pas pour tout de suite, elle n’est pas pour maintenant. Mais d’une certaine manière l’important c’est de se reconnaître mutuellement comme chrétiens et d’avancer ensemble.
Le pape est accompagné dans son périple par un rabbin et un professeur musulman, c’est un fait inédit ? C’est un symbole pour mettre à l’honneur ce dialogue interreligieux ? Est-ce que le pape a un rôle à jouer également pour le statut de Jérusalem ?
Il y a donc deux questions. En ce qui concerne le dialogue interreligieux, c'est-à-dire avec les juifs et les musulmans, le pape emmène deux amis personnels. Et c’est déjà tout à fait notable. Oui, le pape, ce cardinal argentin, avait des amis musulmans et des amis juifs. Ils vont ensemble à Jérusalem. Donc là aussi, cela montre un dialogue qui existe, qui est constant et de rapprochement. Et de fait, dans cette terre qui est divisée, le fait qu’il y ait ce dialogue interreligieux est un signe important.
Je crois que le pape va mettre chacun devant ses responsabilités. C'est-à-dire que si on veut la paix, il faut que chacun prenne ses responsabilités. Il ne pratiquera pas une langue de bois, il redira bien les droits des uns et des autres. Mais en venant en pèlerin, il a certes une attitude religieuse qui après tout est compréhensible pour un pape, mais en montrant ce droit de tous à venir en pèlerinage à Jérusalem, tous les chrétiens, les juifs, les musulmans, il souligne le rôle mondial de Jérusalem, qui n’est pas une terre comme les autres ! Et les responsables politiques doivent reconnaître ce droit au pèlerinage de tous.
Vous avez vu par exemple que le patriarche du Liban, le patriarche maronite, a décidé de venir avec le pape à Jérusalem ! Il faut savoir que les Libanais ne peuvent pas en ce moment faire de pèlerinage à Jérusalem pour des raisons politiques. Je crois que le geste fort en venant en pèlerin, c’est de mettre les politiques devant leurs responsabilités. Il est évident que les Palestiniens ont droit à un Etat. C’est le désir constant du Saint-Siège.
Ça veut dire que le pape François écartera tout message politique ?
Non, pas dut tout ! Il mettra les politiques devant leurs responsabilités, en leur disant qu’ils ne peuvent pas instrumentaliser les religions à leurs profits. Vous savez, on dit parfois que ce sont des conflits de religion. Mais pas du tout ! Le dialogue interreligieux, il existe ! Les gens se connaissent et se reconnaissent ! S’il y a conflit d’apparence religieuse c’est parce que les politiques ont toujours tendance à instrumentaliser les religions pour leurs vues politiques. En venant en pèlerin il donne un message aux politiques. Jérusalem est d’abord et avant tout une terre de pèlerinage pour tous et elle doit être reconnue comme telle par tous.
Vous voyez, nous, nous sommes habitués à séparer le politique du religieux. Dans cette terre les choses fonctionnent un peu différemment. En faisant un acte religieux il fait aussi un acte politique, car il remet les politiques devant des responsabilités qui sont plus grandes que leurs calculs aux uns et aux autres.
Est-ce qu’il n’y a pas un risque, selon vous, d’attiser aussi encore un peu plus la haine des extrémistes religieux ? Ces derniers temps les violences antichrétiens, aussi antimusulmans se sont multipliées.
Vous savez, il y a des extrémistes partout. Il y a des extrémistes juifs, il y a des extrémistes musulmans, il y a des extrémistes chrétiens et – excusez-moi de vous le dire – il y a parfois aussi des extrémistes laïques. Je pense que la force des hommes de bonne volonté qui veulent parler ensemble est de ne pas entrer dans les perspectives des extrémistes.
Bien sûr, les extrémistes vont se servir de ce voyage, bien sûr ils vont s’en servir pour attiser la haine des uns ou des autres. Mais précisément je crois qu’il faut que la caravane passe et laisser les chiens aboyer. Nous ne devons pas adapter sans cesse le discours au bon vouloir des extrémistes et rentrer dans leur jeu. Bien sûr, de toute façon ils instrumentaliseront toute parole et tout geste du pape ! Alors, avançons et écartons les extrémistes, encore une fois qui sont juifs, mais qui sont aussi musulmans et qui sont aussi chrétiens.
Monseigneur Gollnisch, il y aura en tout pas moins de quatorze interventions, des cérémonies dans des lieux chargés de symboles : le Jourdain, la Basilique de la Nativité à Bethléem, le Mur des Lamentations, ou encore le Mémorial de Yad Vashem. C’est un voyage dense, court ! Trois jours. Certains disent trop court. C’est aussi votre opinion ?
Oui. Maintenant comme vous le dites, le voyage est extrêmement dense. Le pape peut choisir un voyage plus court et plus dense. Vous savez, le pape n’est quand même pas un homme tout jeune, ce sont des voyages qui sont extrêmement fatigants. Et comme dans un voyage du pape tout le monde voudrait l’avoir un peu plus chez soi. Tout le monde aurait voulu qu’il puisse aller à Nazareth, qu’il puisse aller ici, qu’il puisse aller là…
Je comprends bien cette attente des uns et des autres. Voilà, c’est un choix, ce sont des conditions. Oui, bien sûr, beaucoup auraient préféré qu’il reste encore quelques jours de plus. Ça me semble relativement secondaire par rapport à l’essentiel de ce voyage ; l’œcuménisme, la rencontre entre les confessions chrétiennes, le dialogue interreligieux et la paix, parce que chacun reconnaîtra que Jérusalem est une terre de pèlerinage.