Egypte: le projet de Constitution validé avant référendum

Ce dimanche, la Commission constituante égyptienne a fini d'adopter les articles du projet de nouvelle Constitution. L'un d'eux, controversé, stipule que l'armée peut juger des civils dans certains cas. Le fondateur du mouvement contestataire du 6-Avril a par ailleurs été libéré. Il était accusé d'avoir organisé mardi une manifestation « non agréée », contre ledit article de loi.

Avec notre correspondant au Caire, Alexandre Buccianti

Ahmed Maher est de nouveau libre. En revanche, le texte qu'il combattait a bel et bien été voté. Conformément au projet de Constitution, composé de 247 articles et approuvé ce dimanche par la Commission à une majorité de plus de 75%, les tribunaux militaires pourront juger les civils, mais dans des cas bien déterminés, à savoir suite à des agressions contre les militaires durant l’exercice de leurs fonctions, ou contre les bases, bâtiments et véhicules de l'armée.

Le texte s'applique aussi pour les questions liées au non-accomplissement du service militaire. Toutes ces provisions existaient déjà dans la Constitution des Frères musulmans de 2012, mais les révolutionnaires et les partis de gauche espéraient les voir abrogées. Ils n'ont pas réussi : ces lignes sont bien inclues dans le texte global du projet de Constitution, qui doit désormais être soumis au vote des Egyptiens. Même si, on le voit, l’armée a accepté de limiter la portée de ces procès à des cas bien spécifiques.

Le général Abdel Fattah al-Sissi quasiment intouchable

En contre-partie, les militaires ont obtenu ce dimanche un véritable privilège : selon le projet de Constitution, le Conseil suprême des forces armées devra donner son approbation à la nomination du ministre de la Défense, et ce pour deux mandats présidentiels complets. En somme, c'est un droit de veto. Et en d’autres termes, le général Abdel Fattah al-Sissi, actuel homme fort du pouvoir égyptien, reste pratiquement inamovible au poste de ministre de la Défense et commandant en chef des forces armées pour huit ans, sauf s’il décide de se présenter à la présidentielle.

De manière générale, un membre de la Constituante a comparé la rédaction de la Constitution à la traversée du champ de mines d’el-Alamein. Il a également fallu régler le conflit entre les islamistes, l’Eglise et les laïcs sur la place de la charia dans l’Etat et la société. La Constituante a par ailleurs remis en question l’ordre des élections établi par la feuille de route (législatives puis présidentielle). Aujourd’hui, l’ordre peut être inversé. Le nouveau texte doit être remis mardi au président par intérim Adly Mansour, pour qu’il fixe la date d’un référendum dans un mois maximum.

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■ ZOOM : L'encadrement du droit de manifester continue de créer des remous

Une autre loi, adoptée dimanche dernier au Caire, dite de « règlementation des manifestations », continue d'embarrasser le gouvernement intérimaire égyptien. Ce texte, destiné à réprimer les manifestations des partisans du président Frère musulman Mohamed Morsi, a été appliqué à la lettre dès le premier jour, mais contre les adversaires des islamistes.

Résultat : le gouvernement s’est créé de nouveaux ennemis à la gauche du spectre politique, dans les milieux révolutionnaires. Aujourd’hui, le gouvernement cherche donc à corriger le tir. La police ferme systématiquement les yeux quand il s’agit de manifestations de gauche. Elle leur accorde un permis de manifester, même s’ils ne l’ont pas demandé.

Il n’en va pas de même avec les Frères musulmans, contre lesquels la loi est appliquée de manière draconienne : avertissement verbal suivi de canons à eau, de grenades lacrymogènes pour finir avec le tir de cartouches au petit plomb. La police a d'ailleurs tiré, ce dimanche, des grenades lacrymogènes pour disperser plus de 2 000 étudiants qui manifestaient sur la place Tahrir, au Caire, contre la destitution du président Morsi en juillet dernier.

Toutes ces interventions musclées se sont pour l'instant soldées par la mort d’un étudiant de l’université du Caire et par la blessure de dizaines d’autres.

→ À (RE)LIRE : La loi restreignant le droit de manifester va-t-elle démobiliser les opposants libéraux ?


Ce dimanche 1er décembre, le parquet a libéré Ahmed Maher, qui reste toutefois à la disposition de la justice pour complément d’enquête. En revanche, la justice a prolongé de 15 jours la détention d'un autre militant, le blogueur Alaa Abdel Fattah. Il est accusé d'avoir organisé une « manifestation illégale », « provoqué une émeute », « frappé un officier de police et volé son émetteur radio ». Il aurait résisté lors de son interpellation, contrairement à M. Maher, qui s'était livré de son plein gré aux autorités.

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