RFI : Ce n’était pas la première fois qu’un dirigeant iranien avait à négocier à l’international sur son programme nucléaire. Mais c’est Hassan Rohani, élu l’été dernier, qui finalement y parvient. Etait-ce d’une importance capitale pour asseoir sa présidence ?
Azadeh Kian : Absolument, pour renforcer le camp des modérés, pour tenir ses promesses électorales. Il ne faut pas oublier qu’il s’est fait élire sur cette base-là, c’est-à-dire réintégrer l’Iran au sein de la communauté internationale, et pour cela il fallait effectivement trouver une solution à la crise du nucléaire iranien qui dure maintenant depuis plus de douze ans, et afin aussi et surtout, de lever l’embargo. Les sanctions pèsent lourdement sur l’Iran, sur sa population, sur son économie. On peut espérer que d’ici six mois un accord définitif sera conclu.
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L’Union européenne a annoncé une première levée de sanctions en décembre. C’est capital pour l’économie iranienne, une économie à bout de souffle. Est-ce que finalement Hassan Rohani avait vraiment le choix ?
Hassan Rohani n’avait pas réellement le choix. S’il n’avait pas fait ce pas vers la communauté internationale, le régime iranien aurait pu subir des émeutes sporadiques, spontanées de la population au chômage, voire affamée. Mais en même temps, et paradoxalement, on a vu qu’en juin dernier la population est allée voter dans le calme, pacifiquement, pour élire un président qui avait effectivement un discours pacifiste et qui avait promis encore une fois d’ouvrir l’Iran vers le monde extérieur. En tout cas, ce qu’on voit émerger au-delà de l’amélioration de la situation économique du pays, une fois que l’embargo est levé, c’est aussi la réintégration de l’Iran au sein de la communauté internationale et la reconnaissance de l’Iran en tant que puissance régionale. Une puissance qui sera désormais considérée comme légitime.
Justement cet accord n’a pas été négocié en quatre jours à Genève. C’était une négociation de très longue date, principalement avec les Etats-Unis. Est-ce que cela va changer les relations entre les deux pays ?
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Bien évidemment, c’est pour la première fois que les négociations effectivement qui, depuis de nombreux mois, étaient entamées entre les diplomates américains et états-uniens, ont atteint leur but qui est d’aller vers la normalisation. Les Iraniens savent très bien que tant que l’hostilité des Américains perdure, ils ne pourront jamais regagner la place de l’Iran dans la région. Ils savaient pertinemment qu’il fallait normaliser. Maintenant il ne faut pas dire que c’est chose faite parce que, en Iran même, il y a des ultraconservateurs qui sont contre la normalisation avec les Etats-Unis. Il ne faut pas oublier que l’animosité contre les Etats-Unis fait partie intégrante de l’idéologie du régime islamique. Donc c’est un processus bien entamé, mais on a encore besoin de temps pour aller vers une véritable normalisation.
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Est-ce qu’il y a un risque de fracture avec la ligne dure du régime, les Gardiens de la révolution, ceux qui tiennent l’économie ?
Non, dans la mesure où leurs intérêts seront bien sûr épargnés. Ils continueront à pouvoir investir, ils continueront à dire leur mot mais on leur a maintenant prié de ne pas intervenir aux affaires politiques et essayer de jouer un rôle beaucoup plus limité dans le champ économique, c’est que Rohani leur a demandé et le Guide également. Donc on peut s’attendre à ce que les Gardiens de la Révolution acceptent d’avoir une part moins importante de la manne pétrolière, mais ils vont rester bien évidemment l’un des acteurs majeurs de l’échiquier politique iranien.
Cet accord renforce aussi Hassan Rohani vis-à-vis des pays de la région. Quelle est désormais sa marge de manœuvre ?
Dans un premier temps, on peut s’attendre à une contribution plus importante et plus positive de l’Iran pour résoudre un certain nombre de conflits dans la région, à commencer par le conflit syrien. Ensuite, étant donné que les Etats-Unis souhaiteraient visiblement retirer leurs forces de la région, là encore ils auront besoin de la collaboration de l’Iran qui a l’armée la plus importante de la région. Donc on peut s’attendre à ce qu’il collabore avec les Américains, mais aussi avec les Européens dans un certain nombre de conflits ou pour stabiliser la situation en Irak aussi, et enfin intervenir moins, voire pas du tout dans le conflit israélo-palestinien. Ce sont les conséquences auxquelles on peut s’attendre à partir du moment où leurs intérêts, en tant que puissance régionale, seront reconnus par l’ensemble de la communauté internationale. On peut s’attendre à ce que la ligne dure du régime s’affaiblisse au profit de la ligne modérée et plus ouverte sur le monde. Cela dépendra aussi de la façon dont la communauté internationale et les Occidentaux en particulier vont respecter leurs promesses issues de cet accord.
Cet accord est conclu pour six mois. L’Iran a-t-il les moyens et la volonté de se tenir à cet accord ?
Absolument, c’est un besoin nécessaire et vital pour l’Iran, mais même si le régime islamiste d’Iran n’est pas une démocratie, en tout cas pas une démocratie à l’occidentale, il ne faut pas oublier que tous les quatre ans il y a une élection et que le régime essaie de tirer sa légitimité du vote populaire. Donc les dirigeants iraniens sont contraints d’être à l’écoute de la société iranienne. Or, la société iranienne dans sa majorité a rejeté la violence et souhaite cette ouverture vers le monde et une vie « normale » et pacifique. C’est ça aussi qui a forcé les dirigeants iraniens d’entamer des négociations très sérieuses avec la communauté internationale.