Nucléaire iranien: «il est rare de voir les ministres négocier en direct»

Les négociations à Genève sur le nucléaire iranien se poursuivent, entre espoir et scepticisme. Tous les ministres des Affaires étrangères des pays impliqués dans les négociations ont donc été réunis ce samedi 9 novembre. Mais la conclusion d'un accord semble s'être éloignée depuis vendredi soir. François Nicoullaud, ancien ambassadeur de France à Téhéran et auteur de nombreux articles sur l’Iran et la non-prolifération, revient sur les négociations en cours à Genève.

RFI : Peut-on essayer de comprendre, avec vous, ce qu'il s’est passé entre vendredi 8 novembre, où la signature d’un accord semblait imminent, et ce samedi, où les négociations se poursuivent. Les ministres sont là, mais on a l’impression qu’il n’y aura pas de signature. Que se passe-t-il ?

François Nicoullaud : C’est très mystérieux, en effet. Parce que d’habitude, quand les ministres arrivent, quand les collaborateurs appellent leurs ministres pour leur dire : « Monsieur le ministre, vous pouvez venir ?», c’est en général parce que l’accord est prêt. Il n’y a plus qu’à signer.

Or, les ministres sont arrivés. Laurent Fabius, William Hague, John Kerry, bien sûr... Et rien ne se passe. L’accord, manifestement, n’est pas prêt. Nous avons donc, en effet, l’impression que nous avons un peu été dérangés pour rien. Ou trop tôt. Il est vrai que selon les rares échos qui sortent des négociations, on a l’impression que ça bloque sur des questions fondamentales qui n’ont pas été réglées avant l’arrivée des ministres. Ce qui est vraiment très inhabituel.

Quels sont, justement, ces grands points de blocage ? Le réacteur d’Arak semble être un point central. Qu'en est-il effectivement ?

Le réacteur d’Arak est un réacteur de recherche assez puissant qui, effectivement, a des caractéristiques qui font qu’il peut produire du plutonium de qualité militaire en quantité importante. C’est vrai, c’est une installation un peu inquiétante. D'un autre côté, il faut reconnaître que même si la construction avance, elle est encore loin d’être terminée.

Les Iraniens parlent de fin de l’année prochaine, mais cela paraît très peu réaliste. En fait, il y en a encore pour plusieurs années - il faut dire la vérité - avant que le réacteur d’Arak ne puisse effectivement produire du plutonium. Donc, il faut effectivement obtenir qu’on modifie ce réacteur, qu’on en modifie les caractéristiques en tout cas, mais ça ne me semble pas un problème urgent.

Et les questions d’enrichissement de l’uranium justement, cela constitue-t-il un des autres points de blocage ?

Apparemment, c'est toujours le cas. Mais ça, on le sait depuis toujours. C’est le cœur de la négociation depuis déjà dix ans. La question est de savoir, effectivement, quelle quantité d’uranium enrichi l’Iran est autorisé en fait à détenir et à quel rythme il peut produire de l’uranium enrichi. Mais, là encore, entendre que ce problème n’est pas réglé, alors qu’on a fait venir les ministres... On se demande ce qu’ont fait les collaborateurs dans les jours précédents.

Normalement, les ministres ne devraient pas être sur place. Ils pourraient attendre dans leur capitale respective. Or, il y a des négociations qui se sont engagées en direct entre le secrétaire d’Etat américain John Kerry, le ministre iranien Zarif, Madame Ashton qui représente les Européens, etc... Mais là aussi, il est très rare de voir les ministres négocier en direct. Ça va peut-être déboucher, mais ce n’est pas très bon signe, cette méthode de négociation.

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On a l’impression que les six grandes puissances qui négocient avec l’Iran - les cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU plus l’Allemagne - ne sont pas forcément sur la même ligne. On, notamment, des propos assez critiques du chef de la diplomatie française, Laurent Fabius. La France semble avoir une position plus dure que les autres vis-à-vis de l’Iran, aujourd’hui.

C’est ainsi, en tous les cas, que les Iraniens le perçoivent. Zarif, le ministre iranien des Affaires étrangères, l’a dit gentiment, mais clairement dans une interview au Monde. La France est considérée comme ayant une position plus dure, qui date déjà depuis plusieurs années. En fait c’est depuis l’arrivée du président Sarkozy qui avait, en effet, pris cette ligne plus ferme.

On analysera plus tard les raisons pour lesquelles elle a été prise. Et puis, cette ligne dure s’est prolongée. Les changements de majorité et de président, n'ont pas modifié cette ligne.

Cela peut-il jouer au niveau des négociations qui se déroulent actuellement à Genève ?

Oui, parce que, bien sûr, les Américains sont les leaders - on ne fera rien sans eux -, mais les Américains doivent tenir compte, aussi, de l’opinion de l’ensemble des parties. C’est une décision collective qui doit être prise par les six pays que vous avez cités et qui représentent la communauté internationale. Et effectivement, si un pays adopte une ligne dure ça a tendance à retarder et compliquer l’issue. C’est tout à fait certain.

Vous affirmez que le changement politique française vis-à-vis de l'Iran date de la présidence Sarkozy. Auparavant, lorsque Jacques Chirac était chef de l’Etat, il y avait plutôt une politique de main tendue, vis-à-vis de l’Iran...

Oui. Le président Chirac était quand même préoccupé de cette situation. Il souhaitait la régler. Il avait fait des efforts importants pour parler aux Iraniens, pour trouver des solutions. Ça n’avait pas abouti. Quand le président Sarkozy est arrivé, il a hésité un moment avant de se forger sa doctrine.

Il semble que lors de sa rencontre avec le président Bush - vous vous souvenez, pour ses premières vacances aux Etats-Unis -, il ait eu une conversation avec lui. Il en est revenu certainement très anxieux, très préoccupé de la position iranienne. Parce que, quelques jours après, il s’adressait aux ambassadeurs de France réunis à l’Élysée. Et c’est là où il a sorti cette fameuse phrase sur le dilemme auquel on était confronté. C’était, soit la bombe iranienne, soit le bombardement de l’Iran. Voilà. On est un peu resté sur cette ligne-là depuis.

Et c’est vrai que le président Sarkozy, par exemple, a été en pointe pour la mise en place des sanctions européennes, en 2012, ce qui joue un rôle important pour convaincre l’Iran. On en est là aujourd’hui.

Malgré le changement de cap, le changement de majorité en France et l’arrivée de François Hollande à la présidence, cette politique française sur l’Iran n’a pas changé. Le président François Hollande a-t-il été convaincu par les mêmes arguments que Nicolas Sarkozy avant lui ?

Il faut le penser. Au fond, l’administration française travaille dans la continuité. Ce sont les mêmes fonctionnaires, qui tiennent les mêmes dossiers au ministère des Affaires étrangères. Ces fonctionnaires jouaient un rôle. Ces diplomates qui gèrent cette négociation complexe ont certainement pesé pour convaincre le président Sarkozy d’adopter la ligne qu’il a adoptée. Et avec les mêmes dossiers, avec les mêmes arguments, sans doute. Ils sont manifestement parvenus à convaincre le président François Hollande et le ministre des Affaires étrangères Laurent Fabius.

Peut-on penser, aussi, que le rapprochement français avec Israël, la rupture de ton qu’il y a eu entre Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy, peut jouer sur ce dossier iranien ?

Ça peut jouer. On ne peut pas dire que la France ait été complaisante à l’égard d’Israël, ni du temps de Nicolas Sarkozy, ni aujourd’hui, du temps de François Hollande, dans la mesure, par exemple, où nous adoptons une position très ferme en ce qui concerne l’installation de colonies dans les zones palestiniennes.

Nous prenons fermement position pour la relance du processus de paix. Mais c’est vrai que nous souhaitons affirmer notre amitié à l’égard d’Israël. Peut-être que le dossier iranien est une façon, au-delà des tensions qui peuvent exister sur le dossier palestinien, de rappeler à Israël que nous sommes à ses côtés.

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