Samedi 19 octobre 2013, 35 membres de l'ASL, l'Armée syrienne libre, ont été capturés par les jihadistes de l'EIIL, l'Etat islamique en Irak et au Levant. David Rigoulet Roze, chercheur rattaché à l'Institut français d'analyse stratégique, explique ce changement de contexte dans les rangs des rebelles en Syrie. Il est interrogé par Christophe Paget.
RFI : Comment faut-il interpréter la recrudescence des affrontements entre factions rebelles ?
David Rigoulet Roze : « D’une certaine manière, une guerre dans la guerre est en train de se développer. Jusqu’à présent, évidemment, l’objectif des insurgés était le renversement du régime de Bachar el-Assad.
De plus en plus, avec la montée en puissance des groupes jihadistes dans les deux variantes, c'est-à-dire celle du Jabat-al-Nosra et surtout l'EIIL issu d’Irak, on peut dire qu'incontestablement, l’ASL se retrouve aujourd’hui en position difficile par rapport à ces groupes jihadistes. »
RFI : Donc, il n’y a plus aucune collaboration entre les différents groupes ?
DRR : « On ne peut pas dire ça sur le terrain, cela dépend des situations. C’est très contrasté. Il y a des opérations qui sont menées conjointement par l’ASL et le front al-Nosra par exemple, dans certains endroits. On peut d’ailleurs noter que le positionnement de l’ASL par rapport au Jabat et à l’EIIL est différent, dans la mesure où le Jabat est essentiellement composé de Syriens, ce qui n’est pas le cas de l’autre groupe jihadiste.
Donc, manifestement, c’est très contrasté sur le terrain. Ce qui est vrai, c’est que depuis le mois d’octobre, les tensions au sein des insurgés sont de plus en plus fortes, ce qui profite évidemment indirectement à Bachar el-Assad. »
RFI : Comment réagit la population à cette évolution ?
DRR : « Une délégation de civils, qui émanerait de l’ASL, aurait pris contact il y a plusieurs semaines avec le gouvernement pour éventuellement trouver une solution syrienne à l’issue du conflit, qui permettrait de marginaliser les groupes les plus radicaux. Et c’est pour Assad une manière de faire revenir les déserteurs sunnites, qui avaient rempli les rangs de l’ASL au début de l’insurrection.
Donc, c’est vrai que de la part d'Assad, c’est assez bien joué, dans la mesure où il a favorisé la montée en puissance des groupes les plus radicaux, notamment en vidant les prisons de ses membres. Indirectement, cela fait son jeu. Bachar el-Assad va se présenter comme l’ultime rempart contre une déferlante jihadiste. Parce qu’il faut préciser que, sur le terrain, les jihadistes, quand ils prennent une zone, imposent leur vision aux habitants. Particulièrement ceux de l’Etat islamique en Irak et au Levant.
Et c’est vrai que les habitants qui soutenaient la rébellion, les insurgés depuis le début, n’ont pas du tout envie de passer sous la coupe de ces groupes les plus radicaux. Indirectement se rapprochent finalement de l’armée loyaliste syrienne ceux qui étaient censés la combattre initialement. »
⇒À (RE)LIRE : Conférence de paix pour la Syrie: la présence d'une opposition crédible est jugée indispensable