RFI : Sous quelles formes sont stockées ces armes chimiques syriennes ?
Olivier Lepick : Elles peuvent être stockées sous deux formes distinctes. Soit en vrac, c’est-à-dire que l’agent chimique n’a pas été chargé dans le système d’arme qui est censé délivrer l’agent. Donc, il est dans un container, évidemment étanche, compte tenu de la toxicité de ces produits, sous forme soit de l’agent chimique définitif, soit sous forme de précurseur, c’est-à-dire deux agents qui sont mélangés au moment du chargement dans la munition, dans l’obus, dans le missile.
La deuxième possibilité, c’est de voir ces agents chimiques déjà chargés dans des systèmes d’armes et prêts à être utilisés. Globalement ce sont les deux formes de stockage que l’on risque de trouver dans l’arsenal chimique syrien.
On imagine bien que la possibilité de détruire cet arsenal s’avère compliquée. Déjà à cause du nombre de sites de production et de stockage. Les Renseignements français parlent d’une quarantaine. Concrètement, comment peut se passer le démantèlement ?
C’est long et complexe et cela nécessite des infrastructures industrielles assez pointues. Compte tenu de la toxicité de ces agents et de la difficulté à les manipuler, une infrastructure industrielle doit être édifiée, souvent à proximité immédiate des zones de stockage, parce qu’on évite de transporter ce genre de produit.
Et, en fonction de l’agent que vous devez détruire, il existent différents types de technologie - ça peut être l’incinération ou la digression chimique, il y a plusieurs techniques -, mais ça nécessite effectivement des infrastructures industrielles très importantes.
A titre d’exemple, les Etats-Unis et la Russie, qui avaient des stocks très importants issus de la guerre froide, ont commencé la destruction de leurs arsenaux chimiques militaires à la fin des années 1990. Mais, malgré les moyens énormes mis sur la table par les deux pays, cette destruction n’est toujours pas achevée aujourd’hui et ne le sera probablement qu'au début de la prochaine décennie. Donc la perspective de voir l’arsenal chimique syrien démantelé et détruit est assez lointaine.
C’est-à-dire ? Une estimation ?
L’estimation est très difficile, parce qu’il y a une première phase qui va être une phase d’inventaire, dont le bon déroulement va dépendre de la bonne coopération du régime syrien. Cette phase d’inventaire durera probablement de longs mois et ensuite, il faudra sécuriser ces stocks pour, ensuite, les détruire quand on aura trouvé une solution pour soit construire des sites de démantèlement sur place, soit, si c’est possible, les transporter. Mais un ordre d’idée serait celui, à peu près de la décennie au minimum.
D’importants moyens industriels mais d'importants moyens humains, aussi ?
Mais il faudra aussi des inspecteurs internationaux, probablement ceux dont dispose l’organisation d’interdiction des armes chimiques. Ils devront se rendre sur place pendant des durées très longues, à la fois pour faire l’inventaire de cet arsenal chimique syrien, mais aussi pour superviser sa destruction. Là aussi, des compétences extrêmement pointues de la part de ces personnels - dont il faudra par ailleurs assurer la sécurité - dans un pays qui est toujours en proie à une guerre civile terrible.
Justement c’est envisageable cela, des experts sur place, alors qu’on est en plein cœur d’une guerre civile ?
Non, ça paraît très peu probable. Personne y compris les Nations unies ou l’OIAC (Organisation pour l'interdiction des armes chimiques, ndlr) ne prendra les risques d’envoyer ses personnels sur zone sans avoir la garantie absolue de leur sécurité.
En termes financiers, cette opération s’élèverait à combien ? On peut avoir un ordre d’idées ?
Les destructions des stocks américains et russes ont coûté plusieurs milliards de dollars. Aux Etats-Unis, on a dépensé une dizaine de milliards de dollars. Dans le cas syrien, les sommes seraient probablement moins importantes compte tenu des tonnages beaucoup plus réduits. Néanmoins, il faut avoir en tête des ordres d’idées de plusieurs centaines de millions de dollars. Se posera également la question de savoir qui va payer pour ce démantèlement et cette destruction.