RFI : La contestation politique en Egypte est-elle en train de prendre le chemin de la lutte armée ?
Henry Laurens : Apparemment, non. On est plutôt sur une épreuve de force. Il s'agit de savoir si, du côté des Frères musulmans, la contestation va ou non s’épuiser.
Pourtant ce mercredi matin, on a entendu ce discours du chef de l’armée égyptienne, le général al-Sissi. Il a appelé la population à descendre dans la rue, à manifester mais aussi à lui donner mandat pour mettre fin à la violence et au terrorisme. Comment doit-on interpréter ce discours ?
L’ancien régime du président Moubarak se félicitait d’avoir créé la stabilité dans le pays. Et il y a certainement en Egypte un fort désir dans l’ensemble de la population d’un retour à cette stabilité. En quelque sorte, al-Sissi joue un peu la carte de ce qu’on appellerait en Europe, d’un parti de l’ordre. Mais ce que l’on sait, évidemment à distance, c’est que les Frères musulmans sont très nettement minoritaires dans le pays.
Pourtant, la majorité dans les urnes leur avait été donnée…
Oui, mais il y a quelques mois et selon certains réseaux. Mais dans les grandes villes, ils sont nettement minoritaires. La meilleure preuve, c’est qu’ils n’arrivent pas à mobiliser autant de gens dans la rue que leur adversaire.
On a vu ces dernières semaines plusieurs attaques dans le Sinaï, des attaques meurtrières qui visent en particulier l’armée. On a vu ce mercredi matin un commissariat de police attaqué dans la vallée du Nil. Est-ce qu’il y a moyen de savoir qui sont les groupes qui se cachent derrière ces différentes attaques ?
Il faut distinguer le Sinaï du reste du pays. C’est une vieille histoire qui remonte à déjà plusieurs dizaines d’années, qui a commencé sous le régime de Moubarak. Cette région est passée pratiquement en état d’insoumission à la suite des différents trafics, des trafics de drogue ou de personnes, des trafics d’armes, etc. Ensuite, le Sinaï a pris un caractère jihadiste religieux. Dans le reste du pays, même déjà sous l’ancien régime, en particulier dans la vallée, le pouvoir avait du mal à contrôler totalement la situation. Là, il y a, en effet, un risque de terrorisme, comme on l’a vu à Mansoura aujourd’hui. Mais en même temps, on peut aussi penser que le pouvoir en place va jouer aussi la carte du terrorisme pour rallier à lui la très grande majorité de la population.
Et précisément au soir du 3 juillet, quand Mohamed Morsi a été destitué, beaucoup d’analystes s’étaient interrogés sur le risque d’un scénario à l’Algérienne. Est-ce qu’avec les événements de ces dernières heures, justement à Mansoura, on ne va pas dans ce sens ?
Ce n’est pas possible pour un historien de faire des prédictions. En général, il va se faire démentir par les faits. Mais ce que l’on peut dire, c’est que l’Egypte a connu dans les années 1990 une très grande vague de terrorisme menée par le Gamaa al-Islamiya, c’est-à-dire un mouvement issu des Frères musulmans mais distinct des Frères musulmans. Et cette vaste offensive a échoué. Ils avaient été amenés à la fin des années 1990 à proclamer eux-mêmes un cessez-le-feu. Et a priori, si on repart dans cette voie, le nouveau pouvoir a les moyens de les défaire comme il y a eu la défaite des mouvements armés dans les années 1990.
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Pour aller plus loin :
Paix et guerre au Moyen-Orient, de Henry Laurens, chez Armand Colin