RFI : Pourquoi ces missiles en particulier font réagir les Israéliens ?
Pierre Razoux : Il faut se reposer d’abord la question de pourquoi les autorités russes l’annoncent maintenant et ce qu’on peut en penser. Le message de la diplomatie russe est simple, il est très clair. C’est d’abord une réponse du berger à la bergère : une réponse à la décision de l’Union européenne de lever l’embargo sur les armes à destination de l’opposition, il y a tout juste 24 heures, et qui ne va pas dans le sens de Moscou.
C’est aussi un message très fort aux Etats-Unis et à l’Iran pour leur indiquer que rien ne se fera en Syrie sans l’aval de la Russie, notamment dans le cadre d’un éventuel marchandage entre Téhéran et Washington qui pourrait suivre les élections iraniennes. Et enfin, c’est un message à tous les alliés de la Russie pour leur montrer que quoi qu’il arrive, Moscou ne laisse pas tomber ses amis.
Sur l’aspect purement militaire, il faut un peu relativiser la portée de cette livraison. C’est peut-être aussi pour cela que le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahu appelle ses troupes à la retenue. D’abord c’est un système d’armes qui est réellement défensif. C’est un système de missiles sol-air dérivé des anciens SAM-6, qui ont presque quarante ans. C’est un système qui ne va pas changer fondamentalement l’équilibre dans la région. C’est un système qui ne menace pas non plus l’opposition armée syrienne. Pourquoi ? Parce que cette opposition armée n’a pas de moyen aérien. Ça met sur pied d’égalité l’armée syrienne et l’armée rebelle qui dispose, ou qui disposerait de missiles sol-air livrés par différentes personnes. Et surtout, c’est un système qui est peut-être sophistiqué, mais qui n’est pas à la pointe du progrès. Par exemple, les Russes dans leur arsenal disposent déjà depuis longtemps du S-400, la version très améliorée du S-300.
Donc bien sûr pour Israël, c’est gênant parce que ça empêcherait éventuellement d’engager son aviation au-dessus de la Syrie. Ça ne l’empêcherait pas, mais ça la handicaperait un petit peu. Mais surtout ce que craint Israël, c’est des transferts de ces S-300 au Hezbollah, au Sud-Liban où, là, ça pourrait empêcher ou limiter sérieusement le survol du Sud-Liban par l’aviation israélienne.
Est-ce que les Syriens auraient directement besoin d’une assistance russe pour aider à la « mise en action » de ce type d’équipement militaire ?
Oui et non. Ils ont un certain nombre de techniciens, de spécialistes capables de le faire, peut-être pas en nombre suffisant. Les Iraniens ont également été formés sur ce type de matériel et on sait qu’il y a des conseillers iraniens en Syrie. Ils pourraient éventuellement s’en passer, tout dépend du volume de missiles et de postes de tir dont il s’agit. Par contre, c’est sûr que pour une efficacité maximale, les Syriens comptent peut-être sur le fait que les Russes puissent envoyer des conseillers techniques sur place pour les aider. Et là, apparemment, rien n’est acquis.
Il y avait donc eu mardi cette réaction du côté d’Israël, du ministre de la Défense Moshe Yaalon. Il déclarait que si ces missiles arrivaient en Syrie, « Nous (sous-entendu les Israéliens), nous saurons quoi faire ». Que veut-il dire par là ?
Ce qu’il veut dire, ça semble assez clair, c’est-à-dire que l’aviation israélienne pourrait intervenir pour détruire préventivement ces missiles parce que les Israéliens ont les moyens de savoir exactement où ils sont situés, comment ils seront engagés, et donc encore une fois de les détruire préventivement avant qu’ils ne soient totalement opérationnels.
Est-ce que se pose la question éventuellement d’une interception des navires avant la livraison ?
Tout dépend de la manière dont ils seront livrés, mais à mon avis non. La logique israélienne, c’est plutôt de laisser le système s’installer et ensuite de le détruire. Il ne faut pas non plus oublier que du côté russe, ce qui est important c’est : un, de sauver la face, de montrer que la Russie s’est comportée en bon allié et a livré ce qu’elle s’était engagée à livrer ; et en même temps, c’est faire de l’argent parce qu’il ne faut pas oublier que l’une des motivations principales de la Russie comme de nombreux Etats dans ces ventes d’armes, c’est de faire tourner l’économie, de faire rentrer des contrats. Finalement, si la Russie a montré qu’elle était en bon allié, qu’elle a livré son matériel et qu’à la suite d’un concours malencontreux de circonstances ce matériel est détruit, à la limite ce n’est plus son problème.
On citait justement la levée de l’embargo européen, même s’il y a une échéance. On a évoqué la date du 1er août. Pas de livraison aux insurgés syriens avant cette date. Mais justement, quel type d’armement comptent livrer les Européens le cas échéant ? Est-ce qu’il s’agira d’un armement beaucoup plus léger ?
Pour le moment, on ne sait pas exactement, c’est en discussion. Ce sur quoi apparemment les Européens se sont déjà entendus pour le moment, c’est de livrer du matériel qualifié de « défensif », c’est-à-dire des missiles antiaériens, légers éventuellement, des missiles antichars, des éléments sophistiqués notamment de communication pour leur permettre de communiquer plus facilement entre eux. De ce que l’on peut suivre des débats, on n’en est pas à parler de blindés, de pièces d’artillerie ou de choses comme ça.