Bernard Hourcade : Mahmoud Ahmadinejad ne sera pas candidat parce que dans la Constitution, un président en Iran ne peut se présenter que deux fois - deux fois quatre ans - comme aux Etats-Unis. Et donc Ahmadinejad ne sera pas présent, ce qui ne veut pas dire que les partisans d’Ahmadinejad seront absents parce que contrairement à ce que l’on dit, il y a une base populaire derrière Ahmadinejad. Il représente quelqu’un de modeste, d’origine populaire, qui a fait une politique certes populiste, mais aussi une politique qui a été suivie. Et donc, il y a pas mal de gens en Iran qui sont discrets, qui ne sont pas connus, qui ne sont pas les vedettes de la télévision, mais qui peuvent voter pour lui si les élections ne sont pas trop truquées.
RFI : Un soutien populaire pour Mahmoud Ahmadinejad, mais il a perdu ces dernières années le soutien des plus conservateurs et du Guide suprême. L'ayatollah Ali Khamenei devrait imposer cette fois l’un de se fidèles à la présidence ?
Le grand problème en Iran, c’est que depuis l’époque de Mohammad Khatami, le candidat réformateur en 1997, on avait un président qui avait une politique et le Guide de la République islamique avait une autre politique. Et cette dualité a fait que tout était bloqué. Rien ne s’est fait finalement. Rien n’a abouti. Avec Ahmadinejad, ils avaient voulu mettre en place quelqu’un de phallocrate, quelqu’un de pas très important et en fait, il s’est révélé beaucoup plus fort qu’on ne le pensait. Ce qui fait que depuis presque quinze ans, l’Iran a deux chefs d’Etat en quelque sorte. Résultat : l’Iran est dans l’impasse. Aujourd’hui, le guide Khamenei qui a réussi à éliminer les contestataires en 2009, après la fraude électorale, a maintenant repris le pouvoir. Et il est pratiquement certain que les prochaines élections vont voir apparaître « Mr Nobody » (M. N’importe qui), comme président mais ce monsieur, car ce ne sera pas une femme, sera très certainement proche du Guide et donc il y aura une unité de pouvoir en Iran, ce qui n’est pas arrivé depuis la mort de Khomeiny.
Effectivement, une fois que les derniers dossiers de candidatures auront été déposés, le conseil des Gardiens de la révolution fera un tri. La liste définitive des candidats sera annoncée à la fin du mois. Et a priori, il devrait s’agir d’une élection entre conservateurs ?
Oui, une élection entre conservateurs. Il y avait actuellement 400 candidats potentiels. L’équivalent du Conseil constitutionnel va faire le tri. Ils vont retenir 7 à 10 candidats potentiels. Mais en Iran, il y a toujours des surprises. Certes, ce Conseil constitutionnel élimine les opposants, ce qui évite d’avoir de grosses surprises. Mais à chaque fois, il y a des surprises. Quand Khatami a été élu, cela a été une surprise, c’était quelqu’un du sérail. Ahmadinejad devait être « Mr N’importe qui », il s’est révélé une personnalité. La candidature de Hachemi Rafsandjani en est une surprise. L’ancien président du Parlement et ancien président de la République revient sur le devant de la scène et comme c’est une personnalité très forte opposée à Khamenei, même s’ils sont frères bien évidemment, cela pourrait poser des problèmes. Mais je pense que le prochain candidat sera quelqu’un de proche du Guide, permettant une unité de pouvoir et une unité de décision.
Cette candidature de Rafsandjani a sûrement été souhaitée par un autre ancien président, Mohammad Khatami. Khatami qui a expliqué qu’il serait contre-productif, en tout cas pour lui, de déposer un dossier de candidature parce que ce dossier serait rejeté par le régime et que cela pourrait, selon lui, nuire à un courant réformateur déjà très mal en point. C’est ce qui s'est passé, selon vous ?
Khatami est trop ciblé, trop connu comme le réformateur. Il a autour de lui beaucoup de gens qui le soutiendraient. S’il était candidat, il serait élu s’il y avait des élections normales. Ce qui provoquerait une crise politique interne. Et tout le monde veut en Iran aujourd’hui trouver une solution. La crise économique est là, l’opposition américaine est là - depuis trente-trois ans, il y a un face à face avec le diable américain, le grand Satan -, la guerre en Syrie leur fait très peur, l’Afghanistan et l’Irak viennent de finir des guerres avec intervention étrangère. Donc la nouvelle génération des Iraniens veut que ça change. Et s’ils doivent changer par le Guide Khamenei qui, aujourd'hui, accepte l’idée de discuter avec les Etats-Unis, tout le monde serait d’accord. La force réformatrice existe dans la population même si ces personnes-là étaient opposées à Moussavi, opposées à Khatami, opposées aux chefs de file des réformateurs. Mais ce courant existe et il est, lui, socialement très enraciné.
Qu’est-ce qu’il reste aux réformateurs comme marge de manœuvre ? Que vont-ils pouvoir faire politiquement ?
Bien souvent, on dit que la droite fait la politique de la gauche et la gauche fait la politique de la droite. C’est Richard Nixon qui a serré la main de Mao Tsé-Tung. Donc en Iran, les analyses un peu optimistes pensent que finalement les conservateurs peuvent trouver en leur sein des personnalités qui sont capables de mettre en œuvre des décisions fortes en matière de liberté et d’ouverture internationale et de normalisation de l’Iran. Parmi ces candidats, le maire actuel de Téhéran, Mohammed-Baqer Qalibaf, ancien général des Gardiens de la révolution, très proche du milieu des affaires, très proche du Guide, personnalité très autoritaire aussi, mais qui pourrait finalement faire une politique très proche de celle de Khatami ou celle de Mussavi s’il avait été élu. Autrement dit, même si les étiquettes ont un sens en Iran, ce sens n’est pas le même que partout. Et on peut s’attendre à ce qu’il y ait un changement de politique même si les étiquettes conservatrices restent toujours sur le front des candidats.
Cela sera dans les années à venir. Pour l’heure, il va y avoir une élection qui pourrait être contestée, c'était le cas la dernière fois, il y a quatre ans. Il y avait eu de grandes manifestations réprimées et, depuis, les leaders de la contestation sont toujours en résidence surveillée. Cette année, les autorités préfèreraient éviter un nouveau mouvement. Comment cela peut se passer ? Les élections vont-elles être de nouveau manipulées ?
L’Iran est une République. Ce n’est pas une démocratie, mais c’est une République. Donc tout le monde veut que ça marche plus ou moins. La fraude électorale, dans tous les pays du monde on en trouve, en Iran de façon un peu massive. Ce qui compte, c’est le rapport de force. Actuellement, les rapports de force sont beaucoup plus nuancés. Ce n’est pas l’un contre l’autre comme c’était le cas en 2009. Autrement dit, personne ne veut d’une guerre. Personne ne veut d’une division interne. Il y a un consensus qui se met en place, qui est exigé par la tension internationale, par les conflits, par la crise économique, par la lassitude de trente-cinq années d’isolement. Tout ceci fait que des clashes comme en 2009 sont peu probables parce qu’aucun candidat n’arrivera en tête avec une dualité blanc et noir, rouge et vert. Le gouvernement, même s’il voit qu’un candidat réformateur ou trop contestataire affleure, se débrouillera pour qu’il ait les 12% de voix honorables qu’ils mettront sur la touche de façon rationnelle.