RFI : C’est la première fois que Londres et Paris se disent prêts à livrer des armes à la rébellion syrienne. Pourquoi maintenant ?
Ignace Leverrier : Le moment est venu où il était difficile pour la France et pour les Britanniques de rester sans rien faire. Jusqu’ici, le soutien qui avait été apporté à l’opposition syrienne était largement vocal. Il y a eu des soutiens financiers qui ont été par moment octroyés à cette opposition, pour permettre de soulager les souffrances de la population, mais tout cela ne permettait pas de sortir d’un conflit qui, semaine après semaine, fait des centaines de morts en plus.
On a vu cependant que les premières réactions en Europe sont plutôt timorées. On craint d’ajouter, dit-on, la guerre à la guerre. Est-ce qu’on ne peut pas faire autrement ?
A mon avis, non. Aujourd’hui il n’y a pas de bonne solution, mais la décision, qui n’a été encore prise, mais qui a été proposée par François Hollande et le Premier ministre britannique, est la moins mauvaise. On ne peut pas continuer de laisser la population syrienne se faire massacrer, parce que la différence de force entre l’armée syrienne, qui dispose d’une aviation avec des avions et des hélicoptères et qui maintenant se sert de Scud, est sans commune mesure avec les armes légères et peut-être un peu d’artillerie dont l’opposition dispose aujourd’hui.
C’est ce qui justifie les fictions diplomatiques à venir avec Moscou et Pékin ?
Oui, c’est possible. Vraisemblablement plus avec Moscou qu’avec les Chinois. Les Chinois sont quand même un peu en retrait dans cette affaire. Les Russes ne sont pas satisfaits de cette situation, bien évidemment. Mais le problème, c’est que les Russes eux-mêmes interviennent depuis le début du conflit. C’est vrai qu’on va apporter un soutien militaire si la décision est finalement prise au niveau national et avec les Britanniques. Mais les Russes interviennent, eux, dans le conflit depuis le début. Ils disent qu’ils ne font que fournir à la Syrie des matériels qu’elle a commandés il y a bien longtemps. C’est sans doute vrai pour une part, et c’est sans doute un gros mensonge pour une autre part.
Justement, est-ce qu’on s’attendait à ce que l’armée régulière syrienne résiste fermement comme elle le fait depuis deux ans ?
Il faut bien distinguer les choses. C’est-à-dire que l’armée syrienne est effectivement en mesure de résister, mais elle ne résiste pas parce qu’elle est restée très cohérente, elle résiste parce qu’il y a une énorme différence entre les matériels dont disposent les uns et les autres. Mais l’armée est en difficulté. En fait, aujourd’hui, elle ne mène plus de bataille directe, c’est-à-dire qu’on a peu d’affrontements entre soldats. La grande force de l’armée syrienne, c’est qu’elle peut bombarder de loin sans impliquer ses militaires.
Ce qu’on constate, c’est que chaque fois qu’il y a des affrontements entre soldats d’un côté et de l’autre entre révolutionnaires ou entre des forces armées, c’est ces dernières qui l’emportent. L’armée est en situation difficile. Et si ce n’était pas le cas, on ne comprendrait pas comment Bachar el-Assad, président du dernier Etat laïc de la région, a besoin de faire appel à des religieux pour qu’ils lui publient une fatwa autorisant ou demandant à l’ensemble des Syriens, des Arabes et des musulmans de venir prendre la défense de la Syrie.
L’Iran, la Russie et l’Irak alimentent également Damas en matériel militaire, ce qui expliquerait son succès relatif. C’est une réalité également ?
Bien évidemment. On le sait pertinemment. C’est-à-dire que le soutien des Russes, il est principalement d’ordre de l’armement, peut-être aussi technique. Il est également de l’ordre financier, il est d’ordre économique. Pour les Iraniens, il y a des centaines et peut-être plus encore de combattants, des Pasdarans qui sont présents, il y a des conseillers militaires. Et s’agissant du Hezbollah, il suffit de suivre les communiqués de l’Armée syrienne libre (ASL) qui expliquent en détails où se tiennent les forces du Hezbollah, tout au long de la frontière entre le Liban et la Syrie pour repousser vers l’intérieur les combattants de l’ASL qui voudraient contourner l’autoroute pour se diriger vers Damas en passant le long de la frontière libanaise.
Ces combattants de l’ASL ont déjà des armes légères, des fusils d’assaut, des munitions. Aujourd’hui, on parle de leur livrer des armes lourdes qui pourraient être des missiles ou des dispositifs sol-air. Est-ce nécessaire pour arriver à renverser le régime ?
C’est d’abord nécessaire pour protéger les populations, parce que le drame de ce qui se joue aujourd’hui pour les populations, c’est que lorsque des zones sont libérées, le régime ne peut plus envoyer de militaires, alors il envoie des Scud. Il envoie des avions qui lâchent des bombes de toute nature et qui détruisent les habitations. Ca n’a aucun intérêt de type de militaire. C’est simplement une sanction qui est imposée à la population en lui faisant comprendre que puisqu’elle s’est révoltée, elle sera punie jusqu’au bout.
Effectivement, il faut apporter une aide au moins à ce niveau-là. Est-ce que ça suffira pour renverser complètement la balance des forces ? Je n’en suis pas sûr, parce que les matériels dont il est question, ce ne sont pas des matériels qui seraient difficiles à déplacer. Ce serait plutôt des missiles portables à l’épaule, si je comprends bien, qui permettront d’abattre des avions qui se risqueraient au-dessus des zones considérées comme libérées, dans lesquelles l’armée syrienne n’a plus ou pratiquement plus de présence militaire.
Ce qui veut dire que ça prendra du temps aussi parce qu’il faut former les combattants de l’ASL à utiliser ces armes ?
Oui, mais parmi les combattants de l’ASL, il y a beaucoup de militaires. Donc ce sont des gens qui ont quand même une certaine connaissance technique. Considérez bien que, en dépit de ce manque de matériel, les révolutionnaires, les combattants, les militaires, l’aile militaire de la révolution a progressé régulièrement sur le terrain. C’est vrai qu’ils ont de la peine par moment à tenir les positions parce qu’ils sont souvent à court de munitions. Mais dès qu’ils sont réapprovisionnés, ils reprennent le dessus et ils avancent à nouveau.